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1 – Grossesse et rejet du handicap, trois femmes témoignent
[Constance Garin, 36 ans, Marseille] Alors que le droit à l’avortement vient d’être gravé dans la Constitution, trois femmes ont accepté de témoigner sur les pressions exercées et les peurs ressenties au cours de leur grossesse, pour ne pas garder leur enfant porteur de handicap ou de malformation. Alors que l’accueil d’une trisomie 18, d’un polyhandicap ou d’un syndrome rare les fait passer pour « inconscientes », ces mères éveillent les consciences à la différence.
« Vous allez gâcher l’existence de vos deux autres filles »
Constance Garin, 36 ans, Marseille
J’ai très tôt l’intuition que quelque chose cloche quand je tombe enceinte de Zélie en 2015, raconte Constance Garin, 36 ans, sage-femme, aujourd’hui maman de quatre filles. Je demande très tôt une échographie de datation. Le médecin s’émerveille en évoquant « le cœur du bébé qui bat », mais je ne suis pas rassurée. Trois mois plus tard, il pointe un problème au cerveau. Exit l’enthousiasme. Ses mots changent. Il passe du « bébé » au « fœtus », propose une interruption médicale de grossesse (IMG) et nous oriente vers des spécialistes en diagnostic prénatal, à Marseille.
La gynécologue du service note alors de nouvelles malformations. Une trisomie 18 ? « Pour l’amniocentèse, on va faire vite », propose-t-elle. Mais je suis réticente. L’examen peut déclencher un accouchement prématuré. Je le sais bien, du fait de ma profession. Or, je veux garder mon enfant. « C’est ridicule, rétorque la praticienne. Les risques de fausse couche sont minimes. » Elle rejette toutes mes objections d’un revers de main et poursuit sur un ton alarmiste : « Je connais une personne atteinte de trisomie 18 qui a vécu vingt ans. Vous allez gâcher l’existence de vos deux autres filles. » Puis, avec humeur : « On peut aussi décider que je ne vous suis plus et que vous vous débrouillez. »
Pour moi, le plus dur n’est pas d’attendre un enfant malade, mais de gérer l’attitude du corps médical.
À huit mois de grossesse, j’accepte l’amniocentèse car, en cas de naissance, le bébé est viable. Le jour J, j’attends des heures dans ma chambre. « Je vous ai oubliée », avoue l’interne. Même scénario pour l’habituel monitoring après examen pour voir si le cœur bat toujours. Devant mon insistance pour en bénéficier, une sage-femme soupire : « Détendez-vous, on a l’habitude d’accompagner les IMG. »
Je dois encore une fois expliquer que je veux cet enfant. Enfin, lors du dernier rendez-vous avant la naissance, la gynécologue nous pose un lapin. J’ai l’impression que l’équipe obstétrique, démunie devant mon refus de l’IMG, se désintéresse totalement de mon cas.
Aujourd’hui, Zélie a sept ans. Elle est polyhandicapée et dispose de l’autonomie d’un bébé de trois mois, mais elle sourit. C’est une petite fille lumineuse qui nous travaille au cœur. Même si le quotidien reste lourd, sa vie vaut la peine. Il suffit d’écouter sa grande sœur de 13 ans, qui me disait il y a quelques jours : « Maman, Zélie nous apporte tant de joie ! »
Témoignage recueilli par Emmanuelle Ollivry, 15 mars 2024
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