Dossier
Tour de France des artisans : à Besançon, Benjamin répare le temps
Pour son numéro estival, Ombres & Lumière publie une série web sur ces artisans qui, touchés par un handicap ou un trouble psychique, poursuivent leur métier avec passion. Dans ce troisième épisode, Ombres & Lumière part à la rencontre de Benjamin André, qui démonte et remonte avec passion des montres depuis son adolescence. Né sans avant-bras droit, le jeune homme de 26 ans fait figure d’original dans cet artisanat. Mais qu’importe, le monde des rouages et des aiguilles s’offre à lui, et l’apprenti s’y épanouit.
Le premier modèle à réparer qu’il a tenu entre ses mains, Benjamin s’en souvient. Très tôt pris de passion pour les belles montres grâce à son grand frère qui les collectionnaient, il cherche à comprendre leur mécanisme. « Une amie m’avait confié une de ses montres qui ne fonctionnait plus, mais ça a mal terminé ! s’esclaffe-t-il depuis son centre de formation, l’AFPA, à Besançon. Je l’ai démontée pour la réparer… mais impossible de la remonter ensuite. J’ai dû lui en racheter une. »
Le jeune homme de 26 ans ne s’arrête pas à cette première déconvenue. À 18 ans, il commence un CAP de vente, puis enchaîne avec un BEP, sans perdre de vue son objectif -devenir horloger. « Sans y connaître grand-chose, je me suis présenté au concours d’entrée d’une école », explique-t-il. L’exercice de remontage de la montre est compliqué. « J’y suis arrivé, j’en étais fier, mais le jury m’a trouvé trop lent. »
Et pour cause, Benjamin est né sans avant-bras droit. « J’ai trouvé rude que le jury ne prenne pas en compte la difficulté de ne travailler qu’avec une seule main ! ». Originaire du Sud-Est, le jeune homme repart bredouille. Il continue dans le commerce, touche à un peu de comptabilité, mais sa passion se révèle de plus en plus tenace. Il ne veut plus n’en faire que son passe-temps.
Ce qui comptait, c’était ma qualification, pas mon handicap.
Benjamin André réussit à entrer au centre de formation Vincent Auriol, à Muret, près de Toulouse. Ce centre, qui forme notamment à l’horlogerie et la cordonnerie, a été créé après la Grande Guerre pour permettre aux blessés de se reconvertir.
Il accueille aujourd’hui encore de nombreux anciens militaires, arrêtés pour blessures physiques et traumatismes psychologiques. « Mais j’étais le seul à n’avoir qu’une main pour travailler ! », sourit Benjamin, qui ne s’est pas laissé contraindre par ce handicap : « C’est ma vie depuis toujours. » Il se souvient d’avoir eu l’envie de mettre une prothèse vers l’âge de 16 ans, « ça faisait plus beau pour sortir et j’attirais moins le regard ».
La suite s’enchaîne sans heurts. A peine fini son CAP que la Suisse, eldorado des horlogers, l’appelle pour l’embaucher en tant qu’opérateur pour une marque de luxe. « En passant les entretiens, j’ai compris qu’ils n’avaient pas remarqué que je n’avais qu’une main, se souvient Benjamin. J’ai préféré les prévenir, et ils ont été très bienveillants. Ce qui comptait, c’était ma qualification, pas mon handicap. »
Le rêve suisse
L’expérience helvète l’enthousiasme. Mais au bout d’un an et demi, le contexte économique bat de l’aile. Les Chinois, principaux clients, arrêtent du jour au lendemain d’acheter chez son employeur. Benjamin et de nombreux autres collègues sont licenciés. « J’avais un super chef, je me voyais faire ma carrière là-bas… », se désole le jeune homme en blouse blanche, penché sur son établi. Il recontacte alors un ancien directeur de stage, dans une manufacture, pour demander une alternance. C’est chose faite.
En parallèle, Benjamin André intègre une formation plus qualifiante à Besançon. Depuis le mois de septembre, le voici qui fait des allers-retours entre le Gers et le Doubs. Une semaine tous les deux mois, il est en formation, accueilli par un de ses oncles installé dans la région.
Le centre de formation a su se mettre à son écoute. Daniel Gasne, son formateur en début de cycle, lui propose d’utiliser l’imprimante 3D du centre, « pour concevoir des aides s’il en avait besoin », raconte cet ancien horloger, heureux de transmettre. « Pour l’examen, Benjamin aura un tiers temps, et j’ai obtenu le droit pour lui d’utiliser un certain type d’ustensile. Ce n’est pas du favoritisme, simplement plus adapté à sa situation lors d’un examen. »
Se mettre à son compte… quand l’heure sera venue
Déjà suivi par ce professionnel depuis longtemps, Benjamin possède quelques prothèses spécialement adaptées aux réparations des montres. « Mon prothésiste n’avait jamais accompagné d’horloger, il s’est pris de passion pour le sujet pour répondre au mieux à mes besoins », s’amuse celui qui, en dehors des examens, préfère travailler à une seule main.
Son avenir, Benjamin André le rêve déjà en grand. Son employeur actuel d’alternance lui propose de l’embaucher en CDI. Un jour, il aimerait repartir en Suisse -et pouvoir se mettre à son compte dans le Sud-Est, quand l’heure sera venue. « Là-bas, un maître horloger serait peut-être prêt à me transmettre son enseigne quand il sera à la retraite, explique Benjamin, qui devra alors trouver des financements pour la racheter. Travailler en indépendant laisse plus de liberté dans le choix des montres à réparer. Personnellement, ce serait une grande fierté. »
Par Guillemette de Préval – le 8 juillet 2025