Dossier
À l’Institut Saint-Pierre, l’oasis des élèves dys
Unique en France dans sa forme, l’institut Saint-Pierre accueille des élèves atteints de troubles dys sévères. Au sein de cette unité pédiatrique, ils suivent un cursus scolaire adapté, tout en bénéficiant de séances de rééducation. En lien avec son dossier sur les troubles dys (n°261), Ombres & Lumière est allé à la rencontre de ces élèves et des professionnels qui les encadrent.
« Je sais lire, c’est plus meilleur maintenant », sourit Nathan, blondinet aux yeux bleus de 10 ans. La phrase paraît anodine. Pourtant, ce jeune garçon à la bouille de premier de classe ne savait auparavant ni lire, ni écrire, à cause de sa dyslexie et sa dysphasie, au point de vomir régulièrement avant d’aller en classe. Pour cette rentrée, celui qui pâtie aussi de troubles psychomoteurs et des troubles de l’attention (TDA) explique fièrement rejoindre une classe « normale » de CM2. « Mais je continuerai à être aidé », précise-t-il, assis sur une grosse balle gonflable, matériel étonnant de prime abord, et pourtant adapté aux difficultés de concentration propres aux dys, dans l’une des classes de l’Institut Saint-Pierre, à Palavas-les-Flots (Hérault).
Un lieu unique
Ce lieu, unique en son genre en France, aura été une bouée de sauvetage pour Nathan et de nombreux élèves dys. Ici, ils sortent enfin la tête de l’eau. Construit sur un cordon dunaire, en face de la mer Méditerranée, cet hôpital pédiatrique public abrite un service consacré aux troubles sévères du langage oral et des apprentissages, couramment appelés les « troubles dys ». Dyslexie, dysgraphie, dysphasie, dyscalculie, dyspraxie… Ces noms aux sonorités étranges comprennent une réalité complexe. Souvent considérés comme légers, ces troubles neuro développementaux invisibles peuvent être très lourds à porter pour les personnes concernées et leurs proches. « Pour être admis, les enfants doivent avoir déjà tenté une rééducation qui s’avère peu efficace, explique Véronique Mulliez, infirmière coordinatrice du service. À leur arrivée, nombreux sont ceux qui ont développé des phobies scolaires ». Chaque année, cette dynamique professionnelle, en blouse blanche, traite avec l’équipe médico-sociale plus de 90 dossiers déposés par les familles du département, pour une trentaine de places.
« Ici, c’est un cocon », reconnaît Emmanuelle, qui y est orthophoniste depuis trente ans. Les enfants suivent des cours adaptés à leurs troubles par des enseignantes spécialisées, dans des classes de dix élèves au maximum. Chaque élève évolue à son rythme. Sur le temps scolaire, ils sont suivis par des professionnels pour leur rééducation, qui mêle orthophonie, psychomotricité, ergothérapie et suivi psychologique. « D’habitude, les parents enchaînent les rendez-vous après les cours, surchargeant leurs journées et celles des enfants », déplore Véronique Mulliez. En moyenne, les enfants restent scolarisés deux années à Palavas-les-Flots. « C’est une sorte de répit, concède la soignante, en poste ici depuis dix-huit ans. Une période pour reprendre confiance en soi et aborder la suite plus outillé ».
Tout est prétexte à la progression
Dans une salle dédiée à la psychomotricité, l’excitation est palpable. Ylies et Damien, 10 ans, s’exercent à un parcours sportif concocté par Juliette, l’une de six psychomotriciennes que compte l’institut. Marche à reculons, saut d’obstacles et lancer de précision d’arceaux… « Damien, arrête de te précipiter, va moins vite ! », lance-t-elle au garçon aux cheveux baguette noirs, dont on sent la patience mise à rude épreuve. Ylies, la bonhomie à fleur de visage avec sa tignasse brune et bouclée, opte pour plus de précision. « Mais, du fait de ses troubles de l’attention, il peut vite se disperser », note Juliette. Les deux garçons se chronomètrent respectivement. Et chaque pénalité vaut cinq secondes supplémentaires. « À travers ce circuit, je leur fais mobiliser leurs corps, leur concentration et un peu de mathématiques ! », explique la professionnelle, tout en interpellant Ylies : « Alors, 5 fois 5 secondes, cela fait combien ? » À l’institut saint Pierre, tout est prétexte à la progression, jusqu’à la cantine. « Je me souviens d’une élève dyspraxique n’utilisant qu’une seule main pour manger, raconte Véronique Mulliez. Quand je lui demandais où était sa deuxième, c’était à peine si elle avait conscience d’en avoir deux ! Elle la cachait sous la table. Petit à petit, via un travail d’ergothérapie, elle a commencé à utiliser les deux. Elle est devenue plus curieuse, plus ouverte sur le monde ».
Parmi les élèves de l’institut, beaucoup sont « multi-dys », c’est-à-dire qu’ils cumulent plusieurs troubles à la fois auxquels se surajoutent parfois ceux de la concentration, de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA ou TDAH). Julian, au regard doux encadré par de larges lunettes noires, en plus d’avoir « du mal dans l’écriture », confie aussi avoir des difficultés de concentration. En plein atelier de bricolage, le garçon de 11 ans reste une seconde année scolaire à l’institut. Tout comme Lucie, heureuse à l’idée de rester : « Et cette rentrée, mon petit frère arrive », rejoignant les nombreuses situations de « familles de dys », étant donné le caractère héréditaire de ces troubles. Pour sa voisine de table, Ilona, c’est le grand saut. Après avoir passé deux ans à Saint-Pierre, elle rejoint un collège ordinaire. « Je ne sais pas trop ce que j’ai comme difficultés… Mais j’appréhende cette rentrée », exprime timidement la jeune adolescente aux cheveux clairs.
« Nous préparons au mieux la sortie des enfants avec les familles, rassure Véronique Mulliez, consciente de l’effet « saut dans le vide » qu’elle représente. Si la décision incombe aux parents, l’équipe pluridisciplinaire préconise des établissements de la région sensibilisés à ces troubles, qui prévoient des classes aménagées, à plus petits effectifs. Certains élèves s’orientent aussi vers des classes Ulis (unité localisée pour l’inclusion scolaire) ou des collèges Segpa (Section d’enseignement général et professionnel adapté). « Ça nous est déjà arrivé d’accueillir des enfants dys d’anciens élèves devenus parents », s’amuse cette dernière, consciente de la charge émotionnelle que peut représenter l’établissement. Une sorte d’éternel port d’attache.
Guillemette de Préval