Dossier

A Marmande, les Fêlés éclairent la Maison Arc-en-Ciel

© Christel Quaix

Lieu de tournage du film Fêlés à Marmande (Lot-et-Garonne), la Maison Arc-en-Ciel accueille chaque jour ses adhérents porteurs d’un trouble psychique. Ici, on échange, déjeune, joue, bricole… Ombres & Lumière s’est glissé durant quelques heures dans le quotidien de ces personnes terriblement attachantes.

La pluie tombe en continu en ce matin de fin d’été à Marmande. La façade de la Maison Arc-en-Ciel, avec ses briques multicolores, éclaire la grisaille ambiante. A peine a-t-on sonné que Xavier, 57 ans, ancien militaire, ouvre la porte : « Bonjour, bienvenue, vous voulez un café ? ». Il est l’un des plus anciens adhérents de la maison. Les cheveux grisonnants et le torse tatoué, il souhaite raconter son histoire et son fonctionnement. « Ici, on est tous sur la même ligne. Chacun s’entraide et il n’y a pas de tireur au flanc. C’est un bel exemple de vie ! », témoigne-t-il. Fabien, l’unique salarié, lui laisse volontiers la parole. Il aura suffi de cinq minutes pour saisir l’ADN du lieu : accueil chaleureux et responsabilité de chacun. Xavier, qui aime à se définir comme « chargé de communication », assure la visite. Les pièces sont lumineuses, égayées par des murs colorés, des plantes, des aquariums et des phrases de François Tosquelles, psychiatre dont la pensée a inspiré toute la vie de la maison, peintes sur les murs – « La plus grande proximité est d’assumer le lointain de l’autre ». Le guide du jour poursuit : « Le jardin est le deuxième poumon de l’association. Il permet de jardiner, de marcher, de se poser et d’y prendre des repas quand le temps le permet »

Xavier, le « chargé de communication » de la Maison-Arc-en-Ciel.

Ici, on est tous sur la même ligne. Chacun s’entraide et il n’y a pas de tireur au flanc. C’est un bel exemple de vie ! »

L’autogestion est ce qui rend cette maison unique en son genre. Tout est décidé et mis en place par les adhérents. Ces derniers sont 186 cette année. Ils ont en commun de présenter des troubles psychiques, mais d’être stabilisés. Quarante bénévoles se relaient pour animer des ateliers couture, bijoux, gym douce, yoga… Des sorties à la journée, des voyages en France et à l’étranger sont aussi organisés.

Reconnu comme GEM (Groupe d’Entraide Mutuelle), le lieu bénéficie de l’aide de l’ARS (Agence régionale de santé). « Mais chaque année, on repart au combat, rien n’est gagné. La maison est présente sur le maximum d’activités de la commune pour gagner des sous », explique Fabien, qui était éducateur sportif avant d’intégrer Arc-en-Ciel. Les portes s’ouvrent à 9 heures et ferment à 18 heures. Il n’est pas rare que dès 8 heures, quelqu’un soit là pour accueillir un visiteur matinal. Le café est offert à tous. 

Cela a fait drôle de se revoir dans le film. A la fin, les gens se sont levés, se sont retournés et nous ont applaudi. Ils voulaient faire des photos avec nous !

L’heure du déjeuner approche. Dimitri, trentenaire, avec sa casquette à l’envers vissée sur la tête, débarque. « Ici, je peux vivre, donner aux autres, aider à faire vivre l’association, confie ce double champion de France en para handball, qui a souffert de dépression sévère. C’est important pour moi ». C’est la fin de l’été, les activités n’ont pas encore repris, mais ils sont quand même douze à déjeuner sur place aujourd’hui. Pour cela, il suffit de prévenir la veille. Sébastien pointe sur sa liste chaque participant, et encaisse les 3€ que coûte un repas. Il est fier de cette responsabilité: « Avant, je restais chez moi, j’étais assez casanier », explique cet adhérent à l’air bonhomme. « Être trésorier adjoint m’a donné de l’assurance et m’a valorisé ».

Autour du melon et des saucisses aux lentilles servis dans de jolies assiettes jaunes, laissées par la production du film de Christophe Duthuron à l’issue du tournage, la conversation est ininterrompue. Les réparties fusent ; l’humour est au rendez-vous. La veille, plusieurs adhérents étaient à Angoulême pour la projection de Fêlés lors du Festival du Film Francophone. Les étoiles brillent encore dans tous les yeux. « Cela a fait drôle de se revoir dans le film, raconte Sabine, le sourire éclatant et la voix emplie d’émotion. A la fin, les gens se sont levés, se sont retournés et nous ont applaudi. Ils voulaient faire des photos avec nous ! »

Après le repas, chacun s’active.

Fabien témoigne des liens qui se tissent entre les adhérents. « Plus que les ateliers et les activités, ce qui les attire, c’est de voir du monde, ne pas rester seul, être en relation, exprime-t-il. Chacun a son caractère. Il peut y avoir des frictions. J’ai un rôle de médiation, mais ils sont très attentifs les uns aux autres ». Comme pour lui donner raison, Patrick enchaîne : « Je n’ai pas trouvé Pierre très bien ce matin. Il faudrait peut-être l’appeler ? ». Xavier se souvient qu’à l’issue d’une tentative de suicide, les premiers qu’il ait vus à l’hôpital, après les infirmiers, étaient des adhérents, les mains chargées de Kit Kat. La pluie n’a pas cessé, mais le soleil rayonne dans cette maison qui incarne la fraternité.

Par Christel Quaix, le 16 septembre 2024

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