Sur le fil
À tout de suite, sister
Ce matin.
Ma chère grande sœur chérie, envie de t’écrire.
Ce matin.
Envie de te demander pardon déjà pour mon irrégularité dans nos appels, même si même si… Tu sais combien ma vie est bien remplie, entre mon couple, mes enfants, mes patients et les spectacles, mais ce n’est jamais une bonne raison ; un coup de fil peut prendre quelques minutes. En marchant, en cuisinant, en s’habillant, même en haut-parleur. Je ne me sens parfois pas du tout à la hauteur de tes attentes, et pourtant je sais à quel point la culpabilité est poison – elle ne sert pas la relation, d’égal à égal. Ah cette p… de culpabilité. Mais je sais aussi que j’ai déçu même un des responsables de la maison qui t’accueille, à qui j’avais promis des ateliers d’art-thérapie auprès des résidents. Tu m’as confié qu’en tant que sœur ça te gênerait un peu, alors je me rassure avec tes paroles, et pour notre départ à la campagne aussi.
Voilà le constat, pas assez de présence et trop de culpa !
Et à côté, je te sens et te sais plutôt heureuse, équilibrée dans cette nouvelle vie collective, je ne te sens pas trop en demande et assez autonome, bien entourée par les merveilleuses bénévoles et éduc’, et les résidents même si certains, hum… sont « relou » quand ils ont bu. Et à ce moment-là j’ai juste envie de devenir un grand mec baraqué et de leur mettre un coup de pression : on ne soûle pas ma grande sœur !
J’adore quand on est au téléphone et que tu me dis, je dois te laisser je suis attendue, ou je ne suis pas disponible je te rappelle. J’imagine que c’est bon signe : tu as ta petite vie. J’aime aussi entendre tes messages sur mon répondeur qui ose me dire, je n’ai pas de nouvelles de vous depuis une semaine, qu’est ce qui se passe, personne ne m’appelle, ni me rappelle. J’aime que tu oses partager tes angoisses, et de la petite fille en toi qui peut encore se sentir par moments abandonnée. Je pourrai avoir les mêmes phrases et les mêmes sentiments quand mon mari ne me répond pas direct, ou me rappelle que quelques heures après. Eh oui. Différentes et semblables, femmes et petites filles par moments.
J’ai adoré – tant pis j’ose ce verbe à nouveau, car c’est vraiment le cas, j’ai adoré, te voir chanter et danser à Noël avec nous tous, répondre la plus rapide et sereine, en mode force tranquille de l’ancienne qui sait, à notre jeu du blind test. Ta mémoire et ta précision sont infaillibles, toi et ta culture, toi ancienne khâgneuse et professeur de latin français, la classe ! T’as rien oublié, aucune référence, ni date ne t’échappent. Tu nous as tous mis à l’amende le soir de Noël.
J’ai adoré te voir recevoir la petite grenouille en céramique de mon mari potier, et sentir que vraiment, ce cadeau qu’il avait fait de ses mains, avec ses muscles, son temps et sa sueur, te touchait, vraiment. Plus que les achats à côté. Tu as senti le cadeau perso. Et depuis que ton traitement est mieux ajusté, tu prends de nos nouvelles et tu dis merci à nouveau, c’est trop beau, ça marche dans les deux sens, la relation.
Dans quelques heures, nous te retrouvons, la fratrie, pour déjeuner au restau près de ton foyer en banlieue, et, tracteurs ou pas, RER mission galère, quoiqu’il arrive, on sera là pour le tartare et les profiteroles, car c’est jour de fête, on se voit ! Et le France à l’arrêt, agriculteurs ou pas, on n’annule pas un déjeuner avec notre sœur, prévu depuis trois semaines, ce n’est pas possible non, ce n’est même pas envisageable.
J’ai avec moi ce que tu m’as demandé, ton shampoing chic et l’huile à la lavande. J’aime que tu sois précise dans tes goûts et besoins, et que malgré la maladie tu restes femme. Avec des marques, Madame !
Prendre soin de soi, de toi quand le monde est en feu ou quand notre vie nous fait souffrir par moments, c’est une base qui maintient au réel et à la vie en fait. Tout simplement et assurément.
À toute suite sister !
Ta petite sœur qui aime, adore et te demande pardon.
Sophie Galitzine, ombresetlumiere.fr – 29 janvier 2024
Artiste-thérapeute et danseuse, Sophie Galitzine nous invite « sur le fil » de sa relation avec Anne, sa sœur aînée, souffrant d’une maladie psychique.