A l'ombre d'un mot

Admiration

Admiration

XIIe siècle, admiration. Emprunté du latin admiratio, « étonnement ».
Étonnement, surprise.
Sentiment d’enthousiasme qu’on éprouve devant ce qui est beau, grandiose.

J’ai participé il y a peu à l’animation d’un groupe de parole très particulier, avec des personnes qui ne sonorisent pas, ou très peu. Toutes avec une atteinte motrice majeure, elles ont parfois la possibilité de faire oui ou non de la tête, ou bien d’acquiescer par un mouvement des yeux. Elles sont accompagnées de leur conjoint quand il y en a, d’une maman pour la plus jeune qui a 20 ans et qui est accidentée depuis 4 ans. Elle est restée trois années en réanimation, requiert une ventilation 24h/24, et s’exprime avec ses mouvements de tête.

Sortie de réanimation l’été dernier, cette jeune femme demande une présence chez elle avec des auxiliaires de vie en permanence. Lors de nos échanges, qui exigent une grande patience pour permettre l’expression de chacun, sa maman nous a dit que Marion (1) était avide de la vie. Nous avons alors vu Marion nous faire comprendre qu’elle voulait dire quelque chose. C’est son auxiliaire qui est intervenue en déclinant l’alphabet : 1ère ligne, 2ère ligne, voyelle consonne, « J », 1ère ligne, 2ère ligne, voyelle consonne, « E ». Elle allait à toute vitesse, dans un silence d’or, empreint d’une grande émotion. Elle donnait ainsi le temps à Marion de pouvoir s’exprimer, cueillant lettre par lettre les mots de Marion. Celle-ci a pris le temps de dérouler une vraie phrase que l’auxiliaire a attendue, sans la formuler à sa place, pour gagner du temps…. Mais quel temps sinon celui des valides, des « bien parlants », des « bien comprenants » ! Marion nous a dit « Je n’ai pas compris ».

Quelle force de vie de la voir ainsi prendre la parole, de traverser son impossibilité de sonoriser, de s’exposer devant nous pour demander à comprendre ce que venait de dire sa maman. Elle n’avait peut-être pas compris, mais elle nous témoignait combien elle se battait pour exister, pour avoir sa place et pouvoir s’exprimer.

J’ai été bouleversée par ce temps commun, où tant de souffrances ont été exprimées, aussi bien par les aidants au sujet de paroles inaudibles, voire inacceptables venant des soignants, que le manque de personnel, le manque d’attention de certains auxiliaires. La présence de chacun a forcé mon admiration.

Marie-Hélène Boucand, 16 février 2024

(1) Nous avons changé son prénom

Par Marie-Hélène Boucand. Médecin, docteur en philosophie, elle-même atteinte d’une maladie génétique rare. Dernier ouvrage paru, Traverser l’épreuve de la maladie, éd. Fidélité, 2022. Elle y déroule l’attention à ce que nous percevons, l’attention au corps qui se met à « parler », un travail qui consiste à « traduire » en mots les maux du corps. Pour Ombres & Lumière, elle livre chaque mois sa chronique « A l’ombre d’un mot ».

Partager