Un pas de biais

Athlète malgré moi

portrait de Cécile Gandon

« Dans le sport, on va plus loin que nos limites. » La femme qui s’exprime ainsi est une sportive de haut niveau, porteuse d’un handicap moteur, adepte des sauts en parachute et des entraînements en soufflerie. J’avoue d’ailleurs avoir été subjuguée par les vidéos dans lesquelles on la voit flotter dans l’espace, apparemment libre comme l’air, comme affranchie de toute contrainte. Et pourtant, son handicap est lourd. Cette légèreté me fait rêver et me questionne.

Je ne suis pas très sportive de nature, si l’on entend par « sport » la pratique volontaire d’une activité physique régulière. Mon rapport au sport relève plutôt du mariage forcé que du choix librement consenti. Je suis pour ainsi dire une athlète du quotidien, mais une athlète malgré moi.

Alors les Jeux paralympiques me laissent avec une grande interrogation.

Depuis l’enfance, j’ai appris, et je continue d’apprendre, à apprivoiser mes limites. J’ai appris qu’avoir besoin des autres est bénéfique. Je suis sans arrêt sur un fil, à devoir prendre en compte à la fois ma fatigue et ma vie sociale, les raideurs de mon corps, et les envolées de mon esprit. J’apprends. Je chemine. Je me casse régulièrement la figure, et me relève. Bref, je tente fort maladroitement d’accueillir ce qui est. C’est difficile.

Seulement voilà : ces sportifs viennent me bousculer dans mes certitudes. Eux, ils n’acceptent pas. Ils vont plus loin que les limites imposées par le destin. Ils ont la rage. Ils vont de l’avant. Ils prouvent à la face du monde que le handicap n’a pas le dernier mot. Ils vont aussi au bout de leurs rêves. Ils font exploser les barrières et se fraient un chemin que personne ne peut tracer pour eux. Ce sont des pionniers qui forcent l’admiration.

En les regardant, en les écoutant, me vient cette question : quel est mon rapport à la limite ? Est-elle un garde-fou qui m’aide à savoir qui je suis, à ne pas oublier que je ne me suffis pas à moi-même ? Ou bien un prétexte commode, pour rester dans le sillon d’une vie tracée d’avance ? Ou encore une ligne de démarcation entre ce qui est sage et ce qui est fou ? Mais ce qui est fou à mes yeux, l’est-il réellement ?

Peut-être que, pour ce qui est du rapport au handicap, la limite est moins à penser comme une muraille infranchissable que comme un concept vivant. Un peu comme la ligne de bouées dans une piscine qui sépare le petit bain du grand bain. La limite extérieure est bien là, mais je peux tout de même tenter de la faire bouger. L’assouplir. Et surtout, intérieurement si ce n’est extérieurement, je peux apprendre à passer sous le filet plutôt que par-dessus… quitte à revenir dans le petit bain si je perds pied. J’ai bien envie d’essayer, juste pour voir !

Cécile Gandon, ombresetlumiere.fr – 16 septembre 2024

Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle vient de publier « Corps fragile, cœur vivant » (Emmanuel).

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