Dossier

« Avoir des envies similaires aux jeunes de mon âge est capital pour moi »

deux étudiantes dont l'une dans un fauteuil électrique.
© Istock.

Alix pesait moins de 800 grammes quand elle est née après six mois de gestation. En raison de cette grande prématurité, elle est atteinte de paralysie cérébrale. Aujourd’hui, à 22 ans, elle est étudiante en licence de mathématiques et mène une vie bien rythmée. Elle revient sur son histoire pour Ombres & Lumière.

J’ai appris bien trop tôt les mots « injuste » et « résilience ». Née prématurée, j’ai perdu ma sœur jumelle à la naissance. Très vite, mes parents ont su que si moi, j’étais vivante, je souffrais de lésions cérébrales et j’ai été très surveillée. La paralysie cérébrale a été diagnostiquée quand j’avais 9 mois. J’ai un handicap assez lourd : depuis l’âge de cinq ans, je suis en fauteuil roulant électrique à l’extérieur ; je ne marche que chez moi. Mes bras sont impactés et mon élocution aussi, même si grâce à un grand travail de rééducation, cela va bien mieux.

J’ai eu la chance de suivre toute ma scolarité en milieu ordinaire. C’était mon choix et celui de mes parents, mais l’école n’est pas forcément formée et aménagée pour accueillir des personnes handicapées ; c’était toujours à moi de m’adapter. Je bave un peu, je ne me tiens pas très droite, j’ai des appareillages, alors cela a pu être un frein pour certains à qui le handicap faisait peur. De fait, j’avais pris l’habitude d’être celle qu’on ne remarquait pas dans les groupes. Alors, c’était à moi d’aller vers les autres. Une fois le premier pas réalisé, ils se rendaient compte que j’avais le même âge et les mêmes centres d’intérêt qu’eux. Ainsi, même si l’accessibilité m’interdisait et m’interdit encore certaines sorties, je me suis toujours fait des amis.

Regard des autres

Aujourd’hui, le regard des autres est toujours là, très présent. Il est parfois violent. J’ai un chien d’assistance, Nougat, depuis trois ans. La première fois que je suis sortie dans la rue avec lui, j’ai remarqué que les gens me souriaient. J’ai réalisé à ce moment-là que j’étais habituée à ce que les gens tournent la tête, changent de trottoir ou soupirent en me voyant. J’ai aussi entendu dans la rue de parfaits inconnus me demander pourquoi je ne m’étais pas encore suicidée ou me reprocher d’être en fauteuil à mon âge… J’ai pris de la distance et cela ne m’affecte pas plus que cela. Je trouve en revanche triste que les gens aient cette vision du handicap en 2021 ! Je sais que je devrai à nouveau affronter ce regard quand je chercherai un travail, que j’aurai à faire face à des préjugés. Mais, ayant déjà passé pas mal de caps, ça ne me fait pas tellement peur.

Il me faut aussi faire face au rapport très infantilisant que les gens peuvent avoir avec moi. A seize ans, des personnes me caressaient la joue pour me dire bonjour, comme à un bébé. Encore aujourd’hui, si je suis avec une amie valide et que nous croisons quelqu’un, il arrive que la personne ne s’adresse pas à moi directement. Je peux dire : « bonjour, je m’appelle Alix », la personne continuera à parler de moi à la troisième personne avec mon amie… Même dans le milieu médical, on s’adresse à mes parents. Or, je suis majeure, je suis juste en fauteuil et il y a plein de choses que je peux gérer seule. Depuis mes 18 ans, je suis indépendante, avec des aides pour les repas, le ménage… Malgré la disponibilité de mes parents pour moi, j’ai très vite voulu ces aides extérieures. Car j’ai réalisé que l’autonomie, ce n’est pas tout faire seule mais faire avec l’aide des autres. Cela a été tout un processus à intégrer.

Tout anticiper

Même si la technologie m’aide au quotidien, je suis tout le temps obligée de négocier les choses. A Paris, les transports sont très peu adaptés, donc j’utilise la PAM et tout doit être anticipé. Je dois régulièrement expliquer que Nougat a le droit de rentrer dans le bus, dans les magasins… Le quotidien, avec des choses aussi banales que mener une scolarité, faire des courses, avoir une vie sociale, peut être très difficile à organiser. Parfois je passe ma journée à prendre des rendez-vous, à expliquer que j’ai besoin de tel aménagement… Au-delà des contraintes mêmes du handicap auxquelles on peut très bien s’habituer, ce sont plus les micro-événements de la journée qui, mis bout à bout, sont les plus lourds. La charge mentale est probablement le plus difficile pour moi.

Être celle qui aide

Nougat m’aide beaucoup dans ce quotidien parfois bien compliqué. Il m’aide à retirer mes vêtements, à ramasser un objet ; il aboie si mon fauteuil tombe en panne… Il me permet aussi de créer du lien social. Quand j’arrive dans un amphithéâtre, les étudiants s’approchent de lui avant de voir le fauteuil. Ils me posent des questions sur Nougat et la discussion est lancée ! Et puis, quand vous avez un chien, que vous le vouliez ou non, vous êtes obligé de le sortir. Malgré ma fatigabilité, c’est un moteur au quotidien. Et grâce à lui, je me suis investie dans l’association Handi’Chiens. Je témoigne dans des entreprises et des écoles. En tant que personne handicapée qui sollicite beaucoup les autres, pouvoir être à mon tour celle qui aide me fait du bien.

Je n’ai jamais voulu que mon handicap envahisse mon quotidien. De fait, il est omniprésent. Je ne fais aucun geste aussi facilement qu’une personne valide. Même si je dois évaluer ce qui est réalisable ou pas, avoir des envies similaires aux jeunes de mon âge sur le plan de l’avenir professionnel ou de la vie sociale est capital pour moi. Sur le plan affectif, je sais que je peux être aimée, je ne ferme pas la porte à une vie de famille… même si ma grande fatigabilité compliquerait beaucoup les choses. Il faut que la personne en face accepte mes limites… En résumé, le handicap complique bien des choses, mais il n’est pas un obstacle infranchissable.

Recueilli par Christel Quaix, ombresetlumiere.fr – 25 février 2021

Lire le dossier « IMC, la force de vivre » : Ombres & Lumière n°240.

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