Un pas de biais

Bonheur impossible ?

une femme avec un bouquet de ballons
Istock.

Ce soir, j’ai croisé ma voisine Chloé, très en beauté dans un joli manteau jaune d’or, flambant neuf. « Que tu es belle, Chloé, ce soir ! », lui dis-je entre deux portes – avec Chloé, nous parlons beaucoup entre deux portes : c’est souvent là que se partagent les vraies choses de la vie, loin des conventions de salon. « Oui, tu sais, je suis trop contente, maintenant, je peux m’habiller dans les magasins normaux, me répond-elle. Jusqu’à présent, je devais chercher des vêtements sur internet à cause de mon surpoids. À présent, ça va mieux, j’ai perdu beaucoup de kilos, et je suis mieux dans mes baskets. Et puis, j’ai rencontré Lucas. C’est un homme tellement gentil : avec lui je me sens en sécurité. Tu sais, vraiment, c’est le bonheur ! » Puis, tout d’un coup, son visage s’assombrit : « C’est tellement beau, que je me dis que ça ne va pas durer ! »

Cette dernière remarque me fait un peu mal. Comme si l’or de son manteau s’était tout à coup terni.

D’où vient cette idée que le bonheur ne peut pas durer ? Ne serait-il qu’une sorte de parenthèse au milieu de la vraie vie, qui, elle, serait de nature dure, exigeante, laborieuse… malheureuse ? En montant les marches d’escalier, je me sens tout à coup bien songeuse.

Il m’arrive de penser la même chose que Chloé. Parfois, la succession de moments heureux me semble inhabituelle. Comme si la Providence faisait une erreur, se trompait de personne. Non, moi, avec mon handicap, c’est normal quelque part, que je souffre un peu, beaucoup, passionnément… La vie, la vraie, est une vallée de larmes, il faut s’y faire ! Et comme dirait l’un de mes amis : « Cécile, le paradis, c’est pas pour aujourd’hui ! »

Sauf que.

Sauf que l’Évangile m’assure que « La vie éternelle est déjà commencée ». Pour moi, la vie éternelle, sauf erreur, c’est quand même une vie de bonheur, une vie d’Amour, une vie de joie – et de joie qui dure, non ? S’il y a bien un endroit où le bonheur peut durer, c’est dans l’éternité.

Qu’est-ce qui m’empêche de renverser la vapeur ? Qu’est ce qui m’empêche de considérer que l’Amour, la joie, la beauté, la bonté, la générosité et la tendresse sont déjà, dès maintenant, à ma portée, présentes dans ma vie, comme un socle solide ? Et ce, pourquoi pas, pour plusieurs heures, plusieurs jours, plusieurs mois ; voire pour toute la vie, pour l’éternité ?

Le pape François nous exhorte en ces mots : « Ayez le courage d’être heureux. » Peut-être que le bonheur se conquiert. Peut-être aussi qu’il se découvre. Peut-être est-il déjà là, au fond, et qu’il n’est pas prêt de partir, en dépit de toutes les blessures de la vie.

Ma jolie voisine a un nouveau manteau. À bien y réfléchir, moi, je crois que je vais changer de lunettes.

Cécile Gandon, ombresetlumiere.fr – 23 octobre 2023

portrait de Cécile Gandon

Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle vient de publier « Corps fragile, cœur vivant » (Emmanuel).

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