Une vie de papa

Cap Canada

la méthode Abba pratiquée à une jeune fille.
© Istock.

Vous êtes fous de partir là-bas !  Voilà ce qu’on m’a dit quand j’ai expliqué que nous partions dix jours au Canada avec Roxelane, pour être suivis par des spécialistes de l’autisme. L’occasion s’est présentée et nous avons eu la chance de pouvoir la saisir. Pourquoi le Québec ? Les spécialistes là-bas ont mis au point des approches différentes, encore peu diffusées en France.

Dans le monde de l’autisme cohabitent plusieurs méthodes, médicales, comportementales, neurodéveloppementales. Pour comprendre les subtilités et les enjeux de chacune, on est obligés de se plonger dans les détails ; c’est long, fastidieux, mais indispensable pour faire son miel et dépasser les querelles de chapelle. Avant notre départ, quelques personnes nous ont mis en garde : les méthodes pratiquées là-bas ne sont pas toutes référencées en France, au sein des bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé… On y réfléchit à deux fois ! À l’inverse, d’autres nous ont encouragés : contrairement à la France, les Canadiens sont en avance, notamment parce que les personnes autistes elles-mêmes sont associées à l’élaboration des programmes de recherche, visant à mieux comprendre leur fonctionnement. On s’enthousiasme ! Comme souvent, face à des points de vue antagonistes, nous nous décidons à faire confiance, à nous faire confiance.

Je le savais, les enfants autistes ont du mal avec les changements de repères et d’habitude. Tout n’a pas été simple : le voyage, le décalage horaire, le froid hivernal de Montréal. En mode stage intensif, jour après jour, nous avons observé et commencé à mettre en pratique la façon d’interagir de notre interlocutrice, Juliette, avec notre fille. Nous nous sommes formés à une approche qui, sans entrer dans le détail, pose les bases d’une communication davantage axée sur le visuel, prenant souvent le contrepied de ce que nous faisions jusqu’à présent. Après un temps d’adaptation, nous avons vu Roxelane évoluer au fil des séances, de façon encourageante. Elle qui, depuis six mois, avait sombré dans un mutisme et une inertie préoccupante, s’est mise soudainement à reprendre la parole et des initiatives.

Face à mes attentes initiales, teintées de prudence, je reviens en France avec la joie d’un regard renouvelé sur ma fille. Je reviens avec le bonheur d’avoir saisi certaines clés de compréhension sur son mode de fonctionnement. Sans angélisme, sans tomber dans la tentation de croire aux méthodes miracles, je reste lucide sur la fragilité de toute forme de généralisation. Je suis conscient du privilège qui a été le nôtre, reconnaissant pour tant de rencontres et de découvertes. Tout cela n’aurait pu se faire sans tous ceux qui, spontanément ou non, nous ont proposé de l’aide, notamment pour accueillir nos autres enfants le temps de notre absence. Je rends grâce pour cette forme de multiplication des pains à laquelle on ne s’attendait pas.

L’herbe n’est pas forcément plus verte au Canada, mais je n’ai pu m’empêcher de ressentir une terrible frustration en comprenant que là-bas, dans tout établissement scolaire ordinaire, on y trouve une dizaine de classes dédiées aux TSA, TDAH et autres troubles ou handicaps. On se prend à rêver d’avoir la même chose en France. Alors, après notre retour, quand les enseignants, médecins, professionnels paramédicaux nous ont manifesté leur étonnement et leur enthousiasme en revoyant Roxelane différente, je me suis dit : cela vaut la peine d’être un peu fous !

Guillaume Kaltenbach, ombresetlumiere.fr – 12 février 2024

portrait de Guillaume

Guillaume Kaltenbach est père de trois enfants dont Roxelane, 14 ans, atteinte de troubles du spectre autistique. De confession protestante, ce chef d’entreprise est impliqué dans différentes initiatives professionnelles et bénévoles visant l’amélioration de l’inclusion des personnes en situation de handicap.

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