Ce que je comprends d’elle

Emmanuel Belluteau et sa fille Armelle
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Comme un paradoxe, Emmanuel Belluteau, énarque, a choisi de témoigner très simplement, dans un livre où il prête la parole à sa fille Armelle, polyhandicapée.

« Je m’appelle Armelle. Ce livre est le mien. Je l’ai composé avec ma vie, mais je ne l’ai pas écrit. » Le procédé peut surprendre : Armelle, bientôt vingt-quatre ans, polyhandicapée, sans l’usage de la parole ni la maîtrise de l’écriture, s’adresse au lecteur dans un style direct, frais à certains moments, intellectuel à d’autres. C’est que derrière ses mots, se trouve un autre, son père. Comme on déchiffre une partition à quatre mains, Emmanuel Belluteau a prêté les siennes à sa fille pour lui donner la parole dans un livre, sans éluder le risque d’un tel exercice : lui prêter des pensées ou des sentiments qu’elle n’aurait pas. « Armelle ne m’appellera jamais papa, explique-t-il. C’est très dur de ne pas entendre votre enfant vous parler. Mais avec le temps, nous avons appris à décoder son langage. Armelle exprime beaucoup de choses par le regard, le rire, elle a beaucoup d’humour… Je préfère risquer de me tromper un peu plutôt que renoncer à lui donner la parole. »

La naissance d’Armelle – au centre d’une fratrie de cinq – a tout changé dans sa vie. « Avoir un enfant handicapé est un traumatisme fort dans une famille, raconte-t-il. Mais elle nous a appris à nous centrer sur l’essentiel. Quand on est confronté à des limites définitives, l’amour devient plus important que le reste. » L’amour, voilà la clé ! A travers des petites scènes de la vie quotidienne, l’auteur nous montre à quel point, lui seul, peut avoir le dernier mot quand le handicap bouscule et blesse notre image du bonheur. « Avec Armelle, nous avons découvert la grandeur des pauvres de cœur. » Et celle-ci ne peut qu’irradier : chaque dimanche, des paroissiens viennent à sa rencontre à la fin de la messe, touchés par sa joie.

Chercheur de sens

Emmanuel Belluteau reconnaît qu’au contact de sa fille, sa foi s’est simplifiée au point d’en transformer sa prière : « Je me suis même mis à tutoyer Dieu ! » Dans un précédent livre, cet homme, qui anime depuis douze ans des groupes de découverte de la Bible, a ainsi exploré comment les Ecritures parlent du handicap, pour tordre le cou aux fausses idées sur Dieu comme celle de croire que la maladie, l’épreuve, la souffrance sont nécessaires pour être sauvé. « Aujourd’hui, ma foi tient en la conviction d’un Dieu créateur et Père qui ne peut pas avoir voulu la maladie d’Armelle, poursuit-il. La Bible ne dit pas de nous résigner aujourd’hui en attendant que cela aille mieux après la mort ; le Christ lui-même a soulagé tant de souffrances. Au-delà du handicap, de l’épreuve, il y a une espérance. »

Sans aucun doute, Emmanuel Belluteau a repris sa plume pour témoigner de cette espérance. Blessé par le témoignage à l’humour parfois grinçant de Jean-Louis Fournier (Où on va papa ?, Ed. Stock, 2008), qu’il a lu avec une boule au fond de la gorge, il a voulu donner son propre regard sur le handicap. « C’est vrai que c’est insupportable de vivre avec un enfant handicapé, confie le haut fonctionnaire qui a débuté sa vie professionnelle par une mission au ministère de la Coopération à Bangui (Centrafrique). J’ai renoncé à une carrière en Afrique pour Armelle. Mais à regarder toujours en arrière, on n’avance pas. Il faut trouver la joie où elle est. » Avec honnêteté, il reconnaît que sa femme Catherine et lui partagent beaucoup du réel vécu par l’auteur de Où on va papa, mais il ne veut pas s’arrêter là : il y a toujours place dans l’épreuve pour l’espérance, que l’on ait ou non la foi.

« Heureusement, il y a avec nos enfants handicapés des moments de bonheur qui donnent du sens à leur vie et à la nôtre, ajoute-t-il. Le handicap nous permet d’aller au-delà de ce dont nous serions capables : on découvre par exemple qu’on dépend des autres. On a beaucoup à gagner à connaître, à écouter, à s’inspirer des plus fragiles. Il faut le dire et le redire à la société. » Et sortir d’une vision où la personne handicapée est perçue comme un poids et quelqu’un à dépanner, pour la considérer en partant de sa fécondité. C’est ainsi qu’il mène une réflexion sur la grande dépendance au Conseil national du handicap.

Quinze jours avant l’impression du livre, Armelle a réalisé une peinture haute en couleurs et pleine de vie qui est devenue la première de couverture. « Depuis plusieurs mois, je parle à Armelle de ce livre, précise-t-il. Je crois qu’elle l’approuverait, sinon je ne l’aurais pas écrit. D’ailleurs, ma femme et mes autres enfants n’auraient pas manqué de me le dire. » Vous l’aurez compris : sa passion, c’est sa famille.

Florence Chatel, Ombres et Lumière n°170

(1) Journal d’une princesse à roulettes, Ed. Desclée de Brouwer, mai 2009, 11 euros.

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