Dossier

« C’est à nous parents, de nous préparer »

Véronique et Isabelle.
Véronique et Isabelle.

Isabelle, mère de Sébastien, et Véronique, mère d’Inès, deux jeunes atteints de trisomie 21, racontent avec simplicité et franchise l’envol progressif de leur enfant hors du foyer. Ce dialogue fait un écho direct à notre dossier intégral sur le sujet du départ de la maison, à découvrir dans numéro d’Ombres & Lumière qui vient de paraître.

Ombres & Lumière : Quand la question du départ de votre enfant s’est-elle posée ?

Isabelle : Sébastien a commencé à parler de son départ de la maison à l’âge de 25 ans, en 2016. Il souhaitait habiter dans un foyer. Sa demande nous a surpris avec mon mari. On ne s’attendait pas à ce qu’elle arrive aussi tôt. On s’est rapproché d’un foyer, et, début 2017, Sébastien l’a intégré.

Véronique : Je ne me souviens plus du moment exact où Inès a formulé ce souhait mais on savait tous que cela allait arriver. Le seul préalable que nous lui avions imposé, c’était qu’elle trouve d’abord un travail. Après avoir obtenu un poste dans un restaurant, Inès s’est faite de plus en plus pressante sur son départ. On a donc contacté un foyer de l’Arche et une place s’est vite libérée. Elle était soulagée de partir. Inès a été très radicale dans sa décision. Quand elle est arrivée dans son foyer, elle a absolument tout emporté de sa chambre. Chez nous, son ancienne chambre est vide. On dirait une chambre d’hôtel ! J’ai analysé ça comme le besoin de nous exprimer que sa maison ce n’était plus ici mais au foyer.

O&L : Comment avez-vous préparé votre enfant ?

Isabelle : On a mis en place tout un protocole pour qu’il gagne en relative autonomie sur la toilette et l’habillage notamment. Il y parvenait bien, cela nous a mis en confiance. On a beaucoup parlé de la façon dont ça se passerait. On lui a dit qu’il avait toujours sa chambre chez nous pour qu’il puisse revenir. Ce qui était plus compliqué pour lui c’était d’exprimer ses ressentis. Il peut vite être perdu au sein d’un groupe et se mettre à l’écart. Lorsqu’il avait un problème dans le foyer, il m’appelait souvent sans demander de l’aide à ceux qui étaient autour de lui. L’autonomie, ce n’est pas juste savoir s’habiller seul, c’est aussi savoir demander de l’aide.

Véronique : Comme pour Isabelle, ça a commencé par l’apprentissage d’une certaine autonomie : dans les transports, la vie quotidienne, comment choisir ses amis… La préparation au départ d’Inès a été un continuum.

O&L : Comment se sont passés les débuts ?

Véronique : Passé l’enthousiasme de la nouveauté, cela a été un peu dur au foyer. Inès a un caractère assez fort et la vie en collectivité a été compliquée. Elle voulait être reconnue, regardée et le groupe amoindrissait cela. Petit à petit, ça s’est stabilisé.
Il a aussi fallu qu’Inès apprenne le fait que quitter sa maison ne signifiait pas qu’elle devait se séparer complètement de nous, ses parents. Au début, elle était très réticente à rentrer chez nous. Heureusement, le personnel de son foyer lui disait combien c’était important de revenir voir sa famille. Les parents peuvent être blessés par cela mais il ne faut pas ! C’est une manière de se construire son propre nid et certains ont besoin d’être brutaux pour y arriver. Il faut leur laisser le temps de revenir vers leur famille… Depuis son départ, j’ai aussi remarqué qu’Inès avait développé des relations plus matures avec ses frères et sœurs. Elle a eu un côté plus adulte, elle est moins centrée sur elle et s’intéresse à la vie de ses neveux et nièces…

Isabelle : Les débuts de Sébastien se sont très bien passés. Il était joyeux et mettait de l’ambiance au sein de son foyer. Au bout de quelques mois, son moral a baissé. Il nous appelait souvent, il était de plus en plus difficile de rester deux week-ends par mois au foyer. L’été arrivant, on s’est dit que cela serait une bouffée d’oxygène. Finalement, la rentrée a été encore plus difficile. L’angoisse a resurgi. Il est devenu triste, dormait mal. Cela a déteint sur son comportement au sein de l’accueil de jour. Son directeur nous disait qu’il était de plus en plus dans l’opposition. On a eu plusieurs rendez-vous avec la structure pour essayer trouver une solution. On n’avait pas envie de lâcher cet envol. Mais Sébastien, qui n’use pourtant pas beaucoup de la parole, était clair et net : il nous a exprimé qu’il trouvait que c’était trop tôt pour le foyer. On a fini par l’écouter et, un an après son entrée en foyer, il est revenu à la maison. Ce retour n’a pas été simple à accueilli. Sébastien s’est beaucoup replié sur lui-même, il ne voulait plus rien faire… On a eu un gros travail à faire. Mais on ne s’est pas dit que c’était un échec. Ce n’était peut-être pas le bon moment, il fallait prendre du recul, revoir notre accompagnement, réévaluer la maturité de notre fils…

O&L : Pour Sébastien, y a-t-il des choses qui auraient pu éviter ce retour à la maison ?

Isabelle : Deux facteurs auraient peut-être permis un premier départ réussi. D’abord, vivre davantage d’expériences de séparation. Sébastien a peu fait de séjours longs, sans nous, avant de partir en foyer. Préparer ce terrain est important. J’aurais aussi aimé qu’il y ait plus de souplesse dans le départ de Sébastien. Le fait de rentrer d’un coup dans le foyer est compliqué. Pour certains enfants de familles que l’on connait, la transition s’est faite plus progressivement. À l’époque, cela m’interrogeait, je me disais que jamais ils ne franchiraient le cap. En fait, ça a marché pour eux. Pour Sébastien, cela aurait sans doute permis d’y aller plus en douceur…  Aujourd’hui, Sébastien reparle régulièrement de son foyer, on a confiance en l’avenir.

O&L : Comment se préparer soi-même à voir son enfant handicapé quitter le nid familial ?

Isabelle : C’est vrai que l’on a été émus de voir partir Sébastien pour la première fois. C’est le petit dernier et nous avions un lien assez fusionnel. Ses deux grandes sœurs l’encourageaient à partir et nous soutenaient beaucoup dans sa décision. Il voulait grandir.

Véronique :Nous avons aussi émus et fiers qu’Inès parte. C’était un grand pas pour elle. De mon côté, j’ai été très soulagée. Je n’ai pas du tout ressenti ce « baby blues » que peuvent ressentir certaines mamans au départ de leur enfant. Cela faisait trente-six ans que l’on avait des enfants à charge donc, avec mon mari, nous étions contents de souffler, de passer du temps tous les deux. Il est vrai que c’est aussi à nous, parents, de nous préparer au départ de notre enfant différent. Quand j’entends des parents dire que leur enfant est bien avec eux et qu’ils ne se posent pas la question du départ, cela m’interroge… On vieillit tous un jour ! Il faut demander conseil auprès de bons amis, de professionnels pour discerner… Des phrases comme « tu nous manquerais trop » peuvent empêcher l’enfant de couper le cordon. D’ailleurs, Inès s’est vite faite sienne cette expression ! Inès m’a dit récemment : « Tu sais maman je ne vais pas vivre toute ma vie en foyer ! J’aurais mon appartement, je me marierai… » J’ai accueilli cela. Au fond, pourquoi pas ? Pour elle, cela signifie que la vie en foyer ne serait qu’une étape, comme notre foyer familial en a été une.

Recueilli par Guillemette de Préval, ombresetlumiere.fr

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