Dossier
« Comment j’accompagne une élève TDAH »
Coline Viet, 26 ans, est professeur de français en 6e à Puteaux (Hauts-de-Seine). Cette année, elle a dans sa classe une élève TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité).
J’ai su avant même la rentrée des classes que Sophie*, une de mes élèves de la classe où je suis professeur principale, avait un trouble de l’attention en lisant son dossier remis par son école primaire. Elle est diagnostiquée depuis au moins un an. J’étais donc au courant mais les TDAH n’évoquaient rien du tout pour moi. J’enseigne depuis trois ans mais je n’avais encore jamais eu d’élève comme elle. Et aucune formation spécifique ne nous est donnée sur cette situation.
Dès les premiers cours, j’ai rapidement remarqué que Sophie était très observatrice. Dès qu’une élève parle, elle se retourne et la regarde avec intensité. Et si je ne lui demande pas de se retourner vers le tableau, elle peut rester fixée ainsi de longues minutes.
Du fait de son trouble de l’attention, Sophie est aussi plus lente que les autres élèves. Par exemple, quand elle recopie le cours que j’écris au tableau, elle peut facilement prendre 5 minutes supplémentaires par rapport à ses camarades, car je la vois beaucoup regarder ailleurs. Il faut que je lui rappelle très souvent de revenir à son cahier pour continuer à écrire. Au début de l’année, elle avait aussi du mal à noter ses devoirs dans son agenda. Elle pensait bien les prendre mais, arrivée chez elle, elle s’apercevait qu’il manquait en fait la page de l’exercice ou le nom de la matière…
Aucune difficulté à comprendre
Mais Sophie est une fille très vive. Elle ne rencontre aucune difficulté à comprendre les choses. Dès que je pose une question aux élèves, elle se précipite pour lever la main pour répondre. En revanche, quand je l’interroge, elle peut prendre plus de 30 secondes avant de formuler sa réponse. Ou bien elle finit par répondre : «J’ai oublié ce que je voulais dire ». Mais quand elle répond, ses analyses sont souvent assez fines. Je crois que ses camarades ne sont pas au courant de ses difficultés mais peut-être que dans ces moments-là, elles remarquent les hésitations de Sophie.
Au fur et à mesure de l’année, j’ai mis plusieurs choses en place pour l’aider. D’abord, Sophie est toujours devant, près de mon bureau afin que j’ai toujours un œil sur elle. Pour ses devoirs, on a convenu avec ses parents que je vérifierai systématiquement à la fin du cours ce qu’elle avait noté. Ce n’est plus la peine aujourd’hui car elle y arrive très bien seule maintenant.
Elle a également des contrôles différents de ses camarades, permis par le PAP (plan d’accompagnement personnalisé) mis en place avec ses parents. Elle répond à moins de questions car il est arrivé plusieurs fois qu’elle soit complètement bloquée sur une question, sans avoir conscience du temps qui passe. Comme elle est très perfectionniste, elle pouvait répondre parfaitement à 3 questions puis, à cause d’un blocage, ne pas répondre aux 7 autres. Mais cela fait plusieurs devoirs que je lui donne la même charge que les autres élèves, sans le lui annoncer au début pour ne pas la stresser. Et elle s’en sort très bien ! Elle a de bonnes notes. Elle gagne petit à petit en autonomie.
Un élève binôme
Depuis 3-4 mois, Sophie a une élève binôme, Léa*, pour l’aider à se concentrer à chaque cours. Un jour – sans dire que c’était pour le cas précis de Sophie – j’ai demandé à la classe si cela intéressait des élèves d’aider certaines de leurs camarades ayant des difficultés. Certaines se sont proposées. J’avais demandé auparavant l’avis de Sophie et de ses parents et celle-ci m’avait donné quelques noms de camarades en qui elle avait confiance. Heureuse coïncidence, l’une en qui elle avait particulièrement confiance s’est portée volontaire sur ce projet, en insistant sur le fait qu’elle avait vraiment à cœur d’aider quelqu’un « même avec de grandes difficultés ». Pour que la relation se passe au mieux, Sophie a accepté que j’explique son trouble à Léa. C’est très simple : celle-ci l’aide à la ramener dans le cours. Elle lui rappelle de me regarder ou de se concentrer sur le tableau, de continuer à écrire la suite du cours, de s’asseoir correctement car elle a tendance à gesticuler un peu sur sa chaise et à déborder sur le bureau de sa voisine… Mais sans être hyperactive pour autant.
Léa est une grande aide pour Sophie, et aussi pour moi. Quand je demande à la classe si tout le monde suit, je peux regarder Léa qui me confirme discrètement si, oui ou non, Sophie en est au même point. Si elle a un peu de retard, je sais que Léa l’aidera à avancer sans que le rythme du reste de la classe ne soit trop perturbé.
Bienveillance
Il y a une grande bienveillance dans leur relation, c’est assez touchant. Sophie en est très contente. La maman de Léa m’a aussi dit que sa fille était très fière de porter cette « mission ». Léa a été très touchée que je lui propose, elle a senti que j’avais confiance en elle, ainsi que Sophie. Au bout de quelques mois, nous avons tout de même dû faire un point avec les deux élèves pour que Sophie ne se sente pas trop surveillée ou infantilisée. Léa était aussi preneuse de conseils pour gérer de la manière la plus ajustée possible cette situation.
Les autres élèves ne sont pas au courant de ce projet, même si elles ont dû remarquer que Léa et Sophie étaient toujours assises à côté, malgré les changements de place réguliers au cours des trimestres. Les autres professeurs sont au courant de cette initiative car le binôme fonctionne dans toutes les matières. En revanche, je n’en ai pas beaucoup parlé à d’autres collègues de d’autres classes. Ce serait pourtant une bonne idée de se transmettre des conseils pratiques des uns et des autres. Peut-être qu’il y a d’autres élèves TDAH dans le collège ? Mais c’est un peu le côté négatif de l’éducation nationale vis-à-vis de ces élèves « à particularité » : chaque prof se débrouille un peu dans son coin… Une autre élève de ma classe aurait peut-être aussi ce trouble. Ses parents sont en train de faire des recherches car effectivement, leur fille a beaucoup de mal à suivre. Mais est-ce vraiment un TDAH ou simplement un manque de maturité, un réel désintérêt pour les cours ? C’est toujours difficile de faire la distinction.
Recueilli par Guillemette de Préval, ombresetlumiere.fr – 28 avril 2022
*les prénoms ont été changés.
A découvrir : « TDAH, connaître pour mieux vivre », un dossier d’Ombres & Lumière, n°247 (mai-juin 2022).