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Comment les enseignants accueillent la présence de leurs élèves handicapés

un professeur des écoles avec ses élèves
© Istock

Si les professeurs sont en grande majorité favorables à l’inclusion d’élèves handicapés dans leur classe, les craintes varient nettement selon le type de handicap, révèle une étude de l’Ifop publiée cette semaine. Ombres & Lumière s’est penché sur ces chiffres, mais aussi sur la réalité du terrain, où les enseignants oscillent entre impuissance et persévérance.

Ça y est, le tourbillon de la rentrée retombe doucement. La plupart des professeurs accueillent dans leur classe un ou plusieurs élèves handicapés, comme c’est le cas depuis la loi de 2005 sur l’inclusion scolaire. Cette année, bien que beaucoup d’enfants se retrouvent encore sans solution, faute de possibilité d’accueil adapté en milieu scolaire ordinaire, 430 000 élèves avec un handicap ont fait leur rentrée (34 % de plus qu’en 2017, selon le ministère).

Côté enseignants, l’accueil d’un élève en situation de handicap est de plus en plus plébiscité, révèle une étude Ifop publiée cette semaine. Ces derniers sont 95% à adhérer à l’insertion des enfants en fauteuil roulant ou à mobilité réduite, 88% pour les enfants avec des troubles “dys”, 76% pour les enfants sourds, et 73% pour les enfants aveugles. En revanche, le résultat est un peu plus nuancé pour les enfants autistes (58%), les enfants avec des déficiences intellectuelles telles que la trisomie 21 (58%) ou encore les enfants avec des troubles psychiques, comme les troubles psychotiques, les TOC, les troubles bipolaires (44%).

« Accueillir un élève avec un handicap est toujours un peu angoissant, même avec l’expérience, reconnaît Axelle, enseignante depuis trente ans et actuellement maîtresse en CE2 dans une école des Yvelines. Chaque handicap est toujours différent. Il y a un temps d’adaptation qui peut paraître long pour les parents mais, nous qui avons leurs enfants quelques heures dans la semaine, il nous faut du temps pour les connaître et comprendre leurs besoins. » La difficulté pour les enseignants vient rarement de l’acceptation d’un enfant avec un handicap, mais plutôt du manque d’aide criant du nombre élevé d’élèves à gérer à côté, décuplé dans certains établissements publics. « Dans mon collège, je fais déjà face à de gros problèmes de discipline, explique Iris, professeur d’éducation musicale dans un collège public de Thionville (Moselle). C’est une très bonne idée en soi d’inclure nos élèves handicapés, mais dans nos classes où l’on se bat déjà contre le harcèlement et pour l’intégration, c’est rude. »

Sa collègue Sandrine, professeur d’histoire-géographie, fait de son côté un aveu d’ « impuissance ». Elle exprime combien l’accueil des élèves handicapés, – de jeunes élèves autistes profonds ou avec diverses déficiences cognitives -, a changé son regard sur l’homme et sur le monde, alors qu’elle ne connaissait rien du milieu du handicap. Mais dès le premier jour de cette dix-neuvième rentrée, elle s’est sentie dépassée. « J’ai 5 élèves ULIS dans ma classe de 30, une jeune malentendante, et une seule AESH (accompagnante d’élèves en situation de handicap, ndlr) : moi, ça me fait totalement peur, car nous n’avons pas les moyens, exprime-t-elle, désarmée. Je prends l’exemple de cette élève autiste, très mignon : il est toujours caché derrière son écran, on ne veut pas le braquer et en même temps on ne peut pas vraiment s’occuper de lui. D’autant qu’à côté on doit gérer la diversité, ceux qui ne parlent pas bien français, ceux qui ont des difficultés. »

« Beaucoup de nos élèves sans handicap sont déjà centrés sur eux-mêmes et ont de plus en plus de mal à accepter l’autre, à vivre ensemble, constate Iris, qui apparente ces attitudes à une forme de handicap social… Alors je me dis souvent que nos élèves porteurs de handicap, les pauvres, doivent supporter le bruit, les tensions, et le fait qu’on ne puisse pas bien s’en occuper… Ils sont courageux de venir à l’école ! »

Comme l’étude de l’Ifop le révèle, lorsqu’il s’agit d’un handicap physique ou sensoriel, l’accueil s’envisage plus facilement. « Cela demande de faire quelques aménagements mais pas dans le contenu des cours, explique Axelle, citant le cas d’une de ses élèves qui commençait à perdre la vue : “Elle avait déjà appris à lire. Il y avait simplement besoin d’agrandir le texte, le mettre en couleur. Et elle se servait d’une tablette.”

Quand il s’agit de troubles d’ordre intellectuel ou psychique, Axelle le reconnaît volontiers, cela requiert de s’impliquer bien davantage : « J’ai eu dans ma classe un élève avec TDAH, haut potentiel et autiste, raconte-t-elle. Plus les années passaient, plus ses troubles autistiques prenaient le dessus et plus c’était compliqué de le canaliser. Si personne n’était là pour le faire sortir, c’était compliqué de le gérer, lui et le reste de la classe. »

Il arrive aussi que le handicap soit découvert au cours de l’année scolaire, ce qui demande, là encore, une attention particulière au professeur concerné. Ce fut le cas l’année dernière dans la classe d’Axelle. Une de ses élèves a découvert qu’elle faisait des crises d’épilepsie très régulières, empêchant sa capacité de concentration. « Ça a été un soulagement de savoir ce qu’elle avait, se souvient l’enseignante. Elle a donc pu bénéficier d’une AESH, mais il lui était insupportable d’être aidée. Pour elle, elle n’était pas handicapée. Elle voulait faire comme les autres. Sa force de volonté m’a marquée ! » 

Comme dans cette situation, accueillir des élèves avec un handicap demande plus de vigilance mais, estime Axelle, des relations fortes peuvent se nouer :  « L’angoisse d’accueillir un enfant porteur de handicap disparaît beaucoup si un lien fort se crée entre l’enseignant et l’enfant. Ce lien doit s’instaurer avec tous les élèves mais encore plus avec ces enfants-là. Cela veut dire que l’on les voit pour eux-mêmes, avec leur spécificité, et non plus pour leur handicap. » 

Guillemette de Préval, avec Marilyne Chaumont, ombresetlumiere.fr – le 8 septembre 2023

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