Sur les lèvres

Comment vivre la parentalité avec la surdité ?

portrait d'Aliénor Vinçotte

Dès lors qu’on est parent, la question de l’éducation de son enfant revient souvent dans les conversations. Veut-on donner une éducation stricte ? Sans écrans ? Proche de la nature ? Pour une maman sourde comme moi, ces interrogations ne s’arrêtent pas là : comment vais-je le comprendre quand il sera en âge de parler ? Vais-je réussir à mettre en place une communication fluide sans répétition ? Et si ma surdité allait être une barrière dans notre relation ?

Contrairement à la famille Bélier – film français à succès vis-à-vis duquel j’ai une certaine réserve, mais qui a le mérite de poser la question de l’éducation dans une famille avec des parents sourds et un enfant entendant – les problématiques ne sont pas les mêmes pour moi. Eux utilisent la langue des signes au quotidien, même avec leur fille entendante. Moi non. D’autres ont des enfants sourds du fait de la génétique, ce qui n’est pas mon cas. D’autres encore ont un conjoint sourd, la motivation se joue à deux.

Ma surdité n’est pas un obstacle pour m’exprimer comme toute personne entendante, je réponds parfois à mes proches bien que j’ai le dos tourné, j’utilise le téléphone dans la vie professionnelle – avec l’aide de la transcription écrite tout de même : des années d’orthophonie sont passées par là. Mais je suis aussi dotée d’un implant cochléaire et d’un appareil auditif.

De l’extérieur, je ressemble à toutes les autres mamans.

Mais, car il y en a un, le matin, contrairement aux autres, je n’entends pas. Mon fils a maintenant 10 mois. Il commence à explorer le monde, à répéter des sons et à être de plus en plus réceptif aux interactions sociales. Je lui parle tout le temps, il me répond par syllabes.

Jusque-là, tout va bien. C’était sans compter le témoignage d’une maman sourde, plus âgée que moi, qui a trois enfants et qui me confiait se sentir exclue des conversations familiales. Elle n’avait pas eu le courage d’insister auprès de ses enfants pour leur apprendre le langage parlé complété (code LPC). Résultat, elle était épuisée. Je me suis vue en elle. Et je n’ai pas envie de faire les mêmes erreurs.

Aujourd’hui, je suis pleine d’énergie. Mais qu’en sera-t-il dans dix ans ? La technologie a amélioré notre quotidien en nous permettant de percevoir des sons, elle n’en reste pas moins énergivore. J’ai commencé à montrer à mon enfant quelques signes du « baby sign » comme « manger », « merci », « fini » ou « encore »… Je me rends compte que c’est loin d’être naturel pour moi, car je ne parviens pas à savoir ce qu’il arrive à comprendre. Il regarde mes mains avec intérêt, mais j’ignore s’il saisit ce que je lui montre. Ses grands yeux marquent l’étonnement.

La mode est heureusement de mon côté : beaucoup de parents se sont mis au « baby sign », très répandu au sein des familles, jusque dans les crèches. Les bienfaits sont énormes pour les tout-petits, qui peuvent se faire comprendre. Cela me demande de revenir en moi : je laisse de côté le monde du bruit et de la parole pour donner la place au monde du silence qui m’habite, afin de le faire découvrir à mon fils. Il me faudra être persévérante pour en voir les fruits. C’est une question de temps.

Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr – 3 mars 2025

Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.

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