Chroniques

Cyrano pour tous

Aliénor Vinçotte

« Mais que dis-je ? C’est une péninsule ! »

Flânant dans les rues de Paris, je passe un jour avec mon mari derrière les poteaux de la célèbre Comédie-Française. Je m’arrête par curiosité devant l’affiche qui annonce les prochains spectacles du mois de mars et d’avril. « Oh, regarde ! Il y a Cyrano de Bergerac ! »

Nous avions regardé avec délice le film de la pièce, adapté par Alexis Michalik et disponible avec sous-titres, bien évidemment, sur Netflix. « Et si on allait la voir au théâtre ? », s’interroge-t-on. J’avais beau connaître l’histoire de Cyrano, je savais que j’allais être frustrée de ne pas comprendre toutes les répliques. J’abandonnais déjà l’idée d’aller le voir sur scène.

Mais en observant l’affiche de plus près, nous découvrons plusieurs petites icônes à côté de chaque annonce de spectacle. L’une représente des mains, pour indiquer l’accessibilité en langue des signes, une autre des lunettes, dont je ne comprends pas la signification…

Plus bas, je vois écrit en tout petit que cette icône signale l’accessibilité de la pièce avec des sous-titres intégrés à l’intérieur : ce sont des lunettes connectées. Je reste sceptique, peu convaincue de cette méthode, n’en ayant jamais entendu parler auparavant.

Ni de une ni de deux, mon mari me lance : « On essaye ? » Sur le site de la Comédie-Française, les représentations affichent complet. Mais Thibault ne se démonte pas : il fouille sur le site, finit par trouver le bon contact pour l’accessibilité du théâtre, demande s’il ne resterait pas des places quand même, tout en précisant que sa femme est sourde.

La réponse ne se fait pas attendre : « Il y a justement des places réservées pour les personnes sourdes et malentendantes, quel moyen d’accessibilité souhaitez-vous? » », s’enquiert gentiment la dame en charge de l’accessibilité. Je pars sur les lunettes connectées, curieuse de les essayer. Nous avions déjà été une fois au théâtre tous les deux, mais je n’avais pas pu tout comprendre.

Le soir venu, on me tend les fameuses lunettes. Les sous-titres s’affichent comme s’ils étaient sur scène. Ma vue met dix minutes à s’accommoder, puis je finis par m’habituer et à rire de bon cœur au jeu des acteurs, dont Laurent Laffite dans le rôle principal.

Thibault me jette des coups d’œil de temps en temps. Je n’ai nul besoin de me tourner vers lui pour être sûre d’avoir bien compris. « C’est un pic, c’est un cap… » La pièce suit son cours, je ne lâche pas la scène une seule seconde. Les images et le décor restent dans ma tête, je savoure les chants et la musique. A ma grande surprise, les sous-titres sont très bien adaptés.

Quel bonheur de se sentir sur un pied d’égalité avec mon mari, de partager ensuite mes ressentis sur la pièce. Et tout cela sans le sentiment de l’imposteur qui commente alors qu’il n’a rien suivi. Ce soir-là, je sors de la Comédie-Française enchantée, et reconnaissante vis-à-vis de la dame chargée de l’accessibilité, elle-même malvoyante, mais aussi pour Thibault et sa persévérance. Qui n’essaie pas n’a rien.

Ce soir-là, j’ai pu d’autant plus apprécier les jeux de mots et les répliques d’Edmond Rostand, admirative de son grand art. Et je comprenais d’autant mieux l’amour du théâtre et de la culture qui m’étaient, jusque-là, difficiles d’accès.

Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr – 6 mai 2024

Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.

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