Chroniques

Dans le flux de la rentrée…

des personnes qui descendent dans une station de métro
© Istock.

A chaque fois, c’est la même chose. Dès que je dois descendre les escaliers du métro, un terrible sentiment de culpabilité m’étreint.

J’ai une vue plongeante sur ma canne, sur mes pieds qui n’arrivent pas toujours à se coordonner, qui essaient désespérément de tomber l’un après l’autre sur la marche suivante, sans s’étaler. Je me sens disgracieuse. J’ai honte.

Évidemment, autour de moi, tout le monde court : c’est la rentrée, on est au top, on optimise son temps de transport. Le rythme lent, c’est bon pour les vacances…

Quand je suis avec des amis, c’est pire. Certains vont à leur rythme, et, arrivés au bas de l’escalier, m’attendent patiemment. D’autres me donnent l’impression que la lenteur leur est comme par magie, devenue instantanément naturelle… Alors je n’ai qu’une envie : disparaître, tomber dans un gouffre qui s’ouvrirait là, sous mes pieds, justement. Et qui se referme pour qu’on n’en parle plus. Au lieu de ça, sort de moi ce petit mot dans un souffle : « Je suis désolée ».

Mais ce petit mot m’assassine. J’y réfléchis. Désolée de quoi ? De quoi ai-je à demander pardon ? Et à qui ? Pardon d’être lente, de faire attendre les autres ? Ils vont s’en remettre. A l’heure de la « méditation en pleine conscience », je leur offre l’occasion d’un petit exercice pratique…

Pardon de cette apparente disgrâce, de ce côté bancal qui me semble faire tache sur la beauté du monde ? Mais, ne suis-je pas la première à m’agacer devant le côté lisse des top models sur les affiches… A m’émerveiller devant le visage ridé, plein de bonté, de certaines personnes âgées que je connais ?

En fait, ce qui me sauve de cette culpabilité, de cette honte d’exister, c’est le visage de l’autre. J’aime tant, chez mes amis, les petites hésitations du discours, les silences maladroits ; leurs moments fragiles. Je n’aime pas que cela bien sûr ! Car l’humour, la joie de vivre, la douceur comptent pour moi. Mais je les aime avec cela.

Alors, je me prends à espérer qu’ils portent sur moi le même regard. Cesser d’être désolée. Etre heureuse d’être là avec eux, tout simplement, au milieu de cette foule du métro qui, après tout, est moins une horde pressée qu’une multitude affairée de visages eux aussi bien humains.

Cécile Gandon, ombresetlumiere.fr – 6 septembre 2021

portrait de Cécile Gandon

Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle est l’auteur de « Timéo et sa drôle de famille » (Téqui).

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