Actus
Des députés « terrifiés » défendent les plus fragiles
Alors que les débats sur la loi sur la fin de vie viennent de débuter à l’Assemblée nationale ce lundi 27 mai, des députés de tout bord prennent la défense des plus fragiles. Parmi eux, Maud Gatel, du Mouvement démocrate, Dominique Potier, socialiste, et Thibault Bazin, du groupe Les Républicains, expriment à Ombres & Lumière leurs craintes et leur engagement, face au risque immense de faire de l’aide à mourir une « solution de facilité » pour les plus vulnérables.
Si on perd la boussole de la vulnérabilité, c’est toute la société qui est perdue
Dominique Potier, député socialiste
« Qui n’a pas connu un moment d’extrême détresse où les décisions sont floues ? » Frontalement opposé au suicide assisté et à l’euthanasie dans le droit, le député Dominique Potier, du groupe Socialistes et apparentés, de Meurthe-et-Moselle, craint que le modèle de société explose. Comme beaucoup de ses confrères hostiles au texte, toutes sensibilités politiques confondues, il s’inquiète du mélange trouble entre soins palliatifs et euthanasie, et surtout de l’abandon du critère de « pronostic vital », pour une « phase avancée ou terminale de la maladie ». « Jusqu’ici, l’interdiction fondamentale de donner la mort protégeait les plus fragiles, souligne Dominique Potier, ultra-minoritaire à tenir sa position dans les rangs de son groupe. L’inversion qui est proposée dans le texte sur la fin de vie les expose, puisque effectivement dans un moment de solitude, de détresse, cette tentation de ne plus vivre, cette possibilité va apparaître, alors qu’une rémission, un apaisement, une envie de vivre peut renaître au bout d’un moment ! » La crainte de nombreuses personnes handicapées, qui montent ces derniers jours et s’exposent sur les réseaux sociaux, y compris chez les jeunes malades psychiques confrontés aux pulsions de mort, est « fondée » selon le député, qui regrette qu’un tout autre virage n’ait pas été pris. « Ce sur quoi nous alertions sur les années à venir s’est réalisé en cinq jours en commission, s’alarme Dominique Potier. Nous avons vu en très peu de temps une forme d’accélération, un processus de libéralisation qui fait que la mort imaginée comme une mesure d’exception devient un droit ! »
L’un des amendements introduit par la commission spéciale affirme que le délai de réflexion pour accéder à l’aide à mourir pourrait être abrogé à la demande du patient, si l’évolution de son état « ne permet pas de préserver la dignité de la personne » : l’enjeu étant la vie ou la mort, c’est là une formule « terrifiante », selon l’homme politique nourri par la pensée sociale chrétienne. « Derrière cette vision, il y a une conception de la dignité vécue comme une performance, s’indigne Dominique Potier. A chaque fois qu’on associe cette indignité à une perte de pouvoir, nous envoyons un message à tous ceux qui sont dans une situation d’extrême dépendance. Si l’on dit ‘ma vie ne vaut plus d’être vécue si je ne peux plus faire ceci ou cela’, quel signal envoyons-nous ? »
Le député continue à arguer que soins palliatifs et suicide assisté s’opposent fondamentalement, et ne sont en aucun cas complémentaires – comme le laisse entendre la loi qui propose des maisons d’accompagnement où la mort pourra également être donnée. « On aurait pu, dans notre société, mener une forme de grande épopée humaniste à travers une lutte déterminée contre l’abandon des personnes face à la solitude, à la mort ou à toute forme de détresse, regrette Dominique Potier. On aurait pu déployer un plan d’innovation extraordinaire autour du vieillissement, de la fragilité, ainsi qu’une forte ambition républicaine d’égalité sur les soins palliatifs. J’ai découvert une telle passion humaniste dans tout le champ médico-social et du handicap. Les personnes qui travaillent aux frontières de la fragilité, au plus près des plus vulnérables, s’engagent vraiment. Ce droit individuel à l’aide à mourir va au contraire fragiliser le commun. Et si l’on perd la boussole de la vulnérabilité, c’est toute la société qui est perdue. »
Je ne peux pas accepter que la société ne prenne pas soin des plus fragiles Maud Gatel, députée Modem
« Terrorisée ». C’est le mot qui revient plusieurs fois dans la bouche de Maud Gatel, députée parisienne du groupe Démocrate (Modem). Au départ, « naturellement favorable à la loi fin de vie, parce que très ouverte sur les évolutions sociétales », la secrétaire générale du mouvement a changé d’avis. Maud Gatel a rencontré ces derniers mois beaucoup d’acteurs des soins palliatifs, des associations, des soignants. « J’avais une vision très partielle des choses autour de la fin de vie, – par exemple, pour moi, les soins palliatifs se résumaient aux dernières heures avec le patient, avoue-t-elle. Je suis frappée par le fait que lorsque de véritables soins palliatifs sont mis en place, avec une prise en charge de la douleur, mais aussi une réelle attention au patient, la demande de mort recule. » L’amendement qui a remplacé le critère du « pronostic vital engagé » lui fait craindre une ouverture à d’autres pathologies, comme la maladie de Charcot. La nouvelle formulation évoque une « affection grave et incurable en phase avancée ou terminale ». « Ce qui me terrorise, c’est que les personnes concernées risquent de considérer qu’elles ne servent plus à rien, souligne Maud Gatel. Je ne voudrais pas qu’elles se disent ‘autant mourir’. Je ne voudrais pas que cette aide à mourir devienne une forme de solution de facilité face à la pression sociétale, face à cette idée terrible : ‘Je ne sers plus à rien, je suis un poids pour mes proches et pour la société’. Quand les personnes vieillissent, souffrent, elles sont souvent dépressives. Je ne peux pas accepter que la société ne prenne pas soin des plus fragiles. »
Maud Gatel rappelle que le devoir des politiques consiste d’abord à rappeler que le collectif ne peut pas être la somme des intérêts individuels, et qu’il faut toujours prendre en compte l’impact général d’une loi. « Ma terreur, c’est qu’on pousse des gens vers cette aide à mourir, et cela, c’est absolument inacceptable, appuie celle qui a suivi de très près les auditions. Les plus vulnérables, les plus précaires, les plus fragiles seraient les premières victimes de cela. » Maud Gatel cite également cette lettre reçue par François Bayrou, d’une mère d’une jeune femme trisomique, qui l’a bouleversé : « Si je vieillis et que je pars avant elle, elle est tellement gentille que si on lui demandait de mourir, elle dirait oui. Qui sera là pour la protéger ? » « Bien sûr, reprend Maud Gatel, ce n’est pas l’objectif du gouvernement, mais l’impact de la loi sur la société, sur le regard de l’autre, c’est cette dimension-là qui n’est pas suffisamment appréhendée. On est là pour veiller à ce que les plus vulnérables soient protégés, quelle que soit l’évolution de la loi. » Désireuse de rester « humble par rapport à ces grandes questions qui nous dépassent », la députée retient son souffle face aux semaines qui arrivent : « Tout peut se passer dans l’hémicycle, un retour au bon sens ou une accélération ».
Altérer gravement, qu’est-ce que ça signifie ? Thibault Bazin, député LR
Thibault Bazin, député du groupe Les Républicains, va se battre sur « tout », terriblement inquiet face à un texte où règne une grande confusion sur les mots. Lui qui a été membre de la Commission d’information sur la Loi Claeys-Leonetti rappelle à Ombres & Lumière à quel point il est interpellé par ce sentiment « d’indignité » que le texte actuel risque d’accentuer. « Les membres du CCNE* nous ont alerté sur ce sentiment d’indignité qui peut exister, voire croître chez les personnes en situation de handicap ou de vulnérabilité ou de perte d’autonomie, rappelle le député. Thibault Bazin est en ce sens estomaqué par l’amendement qui abroge le délai de réflexion du patient ‘si l’évolution de son état ne préserve pas sa dignité’. « En quoi pourrait-on perdre la dignité et justifier d’abréger un délai de deux jours ? Là, c’est surréaliste, s’étrangle-t-il. L’aveu est là. Pour moi, la dignité ne peut pas être diminuée ou anéantie, peu importe le handicap ou la dépendance. Certes, il y a des conditions indignes d’existence, mais la dignité de la personne est inaliénable. »
Thibault Bazin, qui avait déposé une proposition de loi alternative en 2023 pour promouvoir les soins palliatifs, se positionne avec vigueur sur un certain nombre de points précis du texte en discussion. « Par exemple, on parle aujourd’hui de maladie grave qui altère le discernement, mais altérer ‘gravement’, qu’est-ce que ça signifie ? », interroge-t-il. « On n’a pas exclu les états physiques ou mentaux qui altèrent le discernement : on peut avoir une maladie psychique ou être sous l’emprise de drogue, ou dans un étal mental précaire. » De même pour les personnes majeures sous protection juridique, la pente semble très raide à ses yeux. « Cela me percute de plein fouet lorsque l’on évoque les majeurs protégés, parce que ces derniers sont parfois en Ehpad, en ESAT, ce peut être des malades psychiques, affirme-t-il. Or il n’est pas prévu dans leur situation de faire intervenir un juge, ni d’alerter la famille, ni d’offrir la possibilité d’un recours, simplement d’informer. La seule personne qui puisse faire recours, c’est le patient lui-même… Toutes ces questions peuvent aujourd’hui grandement inquiéter les familles. » Thibault Bazin rejoint Maud Gatel sur les effets collatéraux de la loi. « D’un point de vue humain, ce qu’on est en train de faire est très dangereux, pointe-t-il. A un moment, l’esprit du texte pourra faire germer, chez ceux qui ont des idées suicidaires, l’idée même de demander la mort ! » Le député se donne pour mission cette semaine d’alerter sur le fait que « le diable se cache dans les détails ». « Les vies ne peuvent être résumées en quelques caractères, prévient le député. On essaie de porter la voix de ceux qui n’en ont pas ».
Marilyne Chaumont, ombresetlumiere.fr – 27 mai 2024
Ces amendements imaginés pour contrer le texte
-Maud Gatel (Modem) souhaite déposer un amendement pour s’opposer à cette possibilité de réduction du délai de réflexion dans les situations qui ne permettent pas « de préserver la dignité de la personne » « Choquée » par ce terme, la députée Modem le répète : « Personne n’est indigne ». « Toutes les personnes que j’ai interrogées ont des pulsions de mort, mais qui disent autre chose
: un besoin d’attention, d’être soulagé de douleurs ; c’est un appel au secours, pas forcément une demande de mort. Le délai de réflexion est nécessaire, -le sujet de la dignité a été préempté par les promoteurs de l’aide à mourir. »
Thibault Bazin (LR) de son côté a déjà déposé 147 amendements sur le texte de loi, comme par exemple un « droit opposable » aux soins palliatifs. D’autres sont plus inattendus, comme le fait de rendre obligatoire la mention du suicide assisté ou de l’euthanasie sur les avis de décès, dans une logique de dissuasion.
*Comité consultatif national d’éthique