Développer le toucher
Anne Catteau, éducatrice spécialisée de formation, intervient depuis sept ans comme Educatrice à la vie au Cler. A ce titre, elle a animé de nombreuses sessions à la vie affective et sexuelle auprès de jeunes porteurs de handicap en classes spécialisées (Clis, Ulis) ou en Etablissement et service d’aide par le travail (Esat). Comment s’y prend-elle pour parler à ceux qui ont pour elle un esprit d’enfant dans un corps d’adulte ?
Dès le primaire, je commence à travailler avec eux sur le vocabulaire. Les jeunes sont très fiers d’apprendre de nouveaux mots et leur signification. Il sera plus facile par la suite d’aborder des sujets délicats. Il est capital d’utiliser les bons mots et de toujours expliquer son propos. Dire à une jeune fille en robe que l’on ne s’assoie pas les jambes écartées n’est pas suffisant. Lui expliquer que cela peut provoquer des réactions chez les garçons est important. De même pour certains, s’embrasser équivaut à avoir eu une relation sexuelle. Il convient de mettre les mots justes sur les actes.
Ces jeunes ont souvent moins de facilités que d’autres pour savoir dire non et se protéger. Aussi, je leur apprends à avoir toujours 3 questions en tête : J’ai envie ou pas ? Les responsables savent-ils où je suis ? Puis-je appeler à l’aide ?
Cette approche est spécifique pour ces jeunes avec qui nous prenons plus de temps pour expliquer et répéter encore et encore. Sinon, comme pour tout jeune, le fil rouge de mes interventions est la règle des 3 C : Corps, Cœur, Cerveau.
Corps, cœur, esprit
Pour parler du corps, j’utilise une boîte dans laquelle j’ai mis des médicaments, des aliments, un savon, une brosse à cheveux, un préservatif, une serviette hygiénique… Les jeunes sortent un objet à tour de rôle et nous abordons tout ce qui concerne le corps.
Pour le cœur, je les invite à travailler sur leur ressenti et leurs qualités. Aujourd’hui, je suis frappée de voir qu’il leur est souvent impossible de se trouver 3 qualités. Je les aide : tu es généreux, tu es sensible à la justice, tu sais travailler en équipe… Il est primordial qu’ils prennent conscience qu’ils sont estimables et aimables. Une solide estime de soi aide à s’affirmer.
Le cerveau me permet de réfléchir puis de décider ce que je dois faire. Un garçon ne décide pas forcément d’avoir une érection quand il voit des filles en maillot de bain sur la plage. Mais ce qu’il en fait (se jeter dans la mer pour se calmer, s’enfermer dans une cabine pour se masturber…) dépend de lui.
Une personne pour être épanouie doit être bien dans ces 3 dimensions. Quand j’entends des gens militer pour les assistants sexuels, cela m’interroge. Si un homme manque de relations affectives, ce n’est pas d’être aidé pour se masturber qui lui permettra de se sentir mieux.
Des besoins à satisfaire
Nous parlons avec ces jeunes de leurs besoins. Il en ressort qu’ils veulent se sentir utiles, être aimés et avoir des contacts physiques. Cette troisième dimension n’est à mon avis pas assez exploitée. On parle contact physique, on pense sexe. Or, je suis convaincue que tout ce qui est de l’ordre du toucher devrait être développé différemment. Proposer par exemple à ces jeunes des massages, des soins du visage, des sports de contact… les aideraient infiniment. Si le seul toucher se résume à l’acte sexuel, il y a un grand problème.
Nous travaillons beaucoup sur leur ressenti, leur intuition. Les personnes atteintes de trisomie sont très branchées sur leur ressenti. Elles ont une belle franchise qui désarçonne parfois leur interlocuteur. Nous devons leur expliquer la juste distance. C’est d’ailleurs une des demandes principales des parents.
Recueilli par Christel Quaix
Ombres et Lumière n°203.