Dossier

« Écrire, une aventure intérieure »

Cécile Gandon
© C de La Goutte / Ombres & Lumière

En écho à notre dossier « Écrire pour exister » du numéro d’Ombres & Lumière qui vient de paraître, Cécile Gandon, auteur de chroniques et du livre Corps fragile, cœur vivant, pose une réflexion sur l’acte d’écrire, vécu comme une expérience décapante.

Écrire un livre, c’est comme de conduire un voilier en haute mer. Les pages vierges et le temps de l’écriture s’étalent là, devant moi, comme une vaste étendue à conquérir, sans que j’en sache d’avance ni la profondeur, ni la longueur, ni la puissance. Sans que je sache non plus vers quelle terre cette traversée va me mener. C’est une incroyable aventure. Intérieure. Spirituelle. Physique aussi : c’est parfois fatigant de s’astreindre à rester immobile devant la page, de se confronter aux écueils, aux tempêtes, d’avancer quand même. Ce n’est pas toujours le calme plat ! Mais quelle liberté…

La vie est pleine d’humour : moi qui n’ai jamais pu nager bien longtemps, je fais cette expérience décapante de navigation en haute mer. Alors que mon handicap moteur me contraint à une forme de raideur et d’immobilité, j’expérimente une liberté nouvelle : je prends conscience avec un plaisir fou que mon écriture, elle, n’est pas handicapée, et tout à coup je me sens renouvelée, poussée en eaux profondes.

Quelle liberté et quel bonheur, de trouver les bons mots, de se laisser porter avec souplesse par les images, par les souvenirs, par les visages. De donner forme à des émotions enfouies.  De mettre en lumière la beauté, à travers le récit d’expériences quotidiennes. La donner à voir à d’autres, tout simplement.

Je vis chaque traversée, chaque page écrite comme un saut dans la confiance – et comme un don. Je goûte à la joie d’écrire, mais je découvre surtout qu’écrire, c’est parfois donner, se donner. Pour moi, cette traversée s’apparente bien souvent à un chemin pascal !

Une des étapes les plus délicates est souvent celle-ci : discerner entre ce que je peux donner, et ce que j’ai le droit de garder. « S’il est bon de tenir cachés les secrets d’un roi, il faut révéler les œuvres de Dieu et les célébrer comme elles le méritent » (Tobie, 12,7) Cette parole de la Bible, reçue dans la prière, m’aide bien. Je tâche de ne pas écrire pour me libérer, me décharger de fardeaux intérieurs, en oubliant le lecteur. Mais plutôt d’être le plus en vérité possible pour trouver, dans ma propre expérience, ce qui va rejoindre chacun, lui parler… J’essaie du moins. Ce n’est pas facile, sans voir les visages. Finalement, un livre, c’est un concentré d’humanité : creux et bosses, souffrance et joie mêlées, à mots couverts ou tout en lumière.
Au moment de partager mon texte, je me dis : A Dieu vat, les mots ne sont pas parfaits, la réalité que je décris est parfois complexe, floue ou blessée, mais il faut laisser la place à la grâce !

Et je crois que la grâce passe par chaque lecteur. C’est lui qui permet au chemin pascal d’aboutir, et, comme la Résurrection, cela me dépasse. La voilà, ma terre promise. Le voilà, le but de ma traversée : cette terre où je peux échanger avec l’autre, bâtir des ponts, continuer à construire. Donner envie à d’autres de tenter l’aventure. Et préparer mon voilier pour d’autres mers. 

Cécile Gandon, 27 juin 2023

Retrouvez l’ensemble du dossier « Ecrire pour exister », dans le n°255 d’Ombres & Lumière.

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