Un pas de biais

En solde !

Une femme dans un magasin de vêtements
© Istock.

J’attendais les soldes avec impatience. Mon manteau commence à être usé et puis, j’avais envie d’un peu de renouveau, de printemps avant l’heure, un peu de peps, quoi !

Sur internet, j’ai remarqué un modèle très joli et… bien soldé ! Chic alors. Ni une ni deux, je prends le métro pour aller l’essayer en boutique : car j’aime la matière, j’ai besoin de toucher, de voir en vrai avant d’acheter.

Arrivée sur place, je me sens soudain mal à l’aise. Ces vêtements bien rangés sur leurs cintres, espacés comme des bijoux de collection ; ces clients tout aussi bien rangés et espacés dans la file d’attente de la caisse… cela me fait drôle. Comme si, pour aller acheter un article à cet endroit, il fallait déjà s’être mis sur son trente et un. Tout d’un coup, avec mes jambes tordues, mon manteau usé, mon manque d’équilibre, j’ai l’impression de faire tache.

Le cœur tout triste, je m’apprête à rentrer bredouille lorsque je découvre, à la sortie du métro, un magasin un peu improbable dans le quartier : c’est une friperie qui a ouvert il y a quelques mois. Une dame est là qui s’est arrêtée pour essayer une paire de chaussures. « Vous savez, dit-elle à la jeune vendeuse, moi, avec mes pieds, c’est pas facile de trouver des chaussures où je sois à l’aise ! » Et la vendeuse, souriante dans son pull à capuche, lui tend une chaise avant de l’aider à enfiler une paire de baskets souples.

Elle m’explique que cette friperie travaille en lien avec des recycleries qui elles-mêmes sont en lien avec des associations de récolte de vêtements déjà portés. Ceux-ci sont revendus à moindre coût.

Dans cette boutique, les vêtements sont rangés sans être arrangés. Un peu comme dans la vraie vie, certains sont légèrement usés, et tous ont déjà vécu une histoire. Dans cette ambiance plus humaine, plus accueillante, j’ai l’impression que j’ai davantage ma place. Mon handicap a le droit d’être.

Je n’ai pas trouvé le manteau de mes rêves, car j’hésite toujours entre le rose pétale et le vert sapin, balançant entre l’image rêvée de moi-même et la réalité de ce que je suis. Mais une chose est certaine : j’ai découvert un lieu où, sans que la dimension commerciale soit totalement gommée, ma fragilité a sa place ; en visitant ce magasin, je m’inscris déjà comme l’un des maillons d’une chaîne d’entraide qui fait du bien à tous.

Cécile Gandon, ombresetlumiere.fr – 01 février 2022

portrait de Cécile Gandon

Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle est l’auteur de « Timéo et sa drôle de famille » (Téqui).

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