Série Web - Charcot et nous
Épisode 2 – « Si je dois tout laisser pour ma femme, je le ferai »
Alors que de nombreuses personnes voient dans la maladie de Charcot une atteinte à la dignité, servant à légitimer le recours au suicide assisté, Ombres & Lumière déroule une série Web « Charcot & nous » : 4 épisodes sur des couples ébranlés dans leur quotidien par la Sclérose latérale amyotrophique (SLA), dite maladie de Charcot. Le proche « aidant » livre son regard sur son proche malade, de plus en plus dépendant, bien loin des projections militantes, avec son paquetage de souffrance et ses réserves d’espérance.
Épisode 2 – Le couperet est tombé il y a quelques mois : Marie-Noëlle, l’épouse de Pierre Hommey, est atteinte de la maladie de Charcot. Ce général à la retraite de 74 ans évoque pudiquement son inlassable soutien auprès de sa femme. Les rôles semblent s’inverser, après ses années à l’armée où celle-ci tenait la « base arrière » familiale.
« C’était trop dur. J’ai dû arrêter ma lecture après les vingt premières pages du témoignage d’Axelle Huber, dont le mari est mort de la maladie de Charcot. Je ne suis pas sûr de vouloir connaître ce qui nous attend.
Quand Marie-Noëlle chute une première fois, il y a quatre ans, elle sent que quelque chose cloche. Elle peine dans les escaliers du métro, perd de la force dans les mains. Sa voix s’altère. Les médecins évoquent alors une sclérose latérale primitive, pathologie non mortelle, qui se stabilise en trois années. Mais en octobre 2023, les électromyogrammes sont mauvais. Le couperet tombe : mon épouse est atteinte de la maladie de Charcot. Tous nos plans pour notre dernière partie de vie s’écroulent. Voyages avec des amis, engagements, balades à pied dans Paris, il faut tout repenser.
Aujourd’hui, Marie-Noëlle ne peut plus marcher – même si elle tient debout avec un déambulateur – encore moins aller voir notre fils aîné, installé à Montréal. Le temps s’est comme ralenti brusquement. Elle doit beaucoup dormir. Je l’aide à s’habiller, à retirer ses chaussettes de contention, à se laver les cheveux, à se doucher. Les tâches quotidiennes ne me dérangent pas. Je m’occupe des courses, des repas, de la lessive. Nous avons cinquante années de mariage derrière nous, et elle a tellement donné pendant les trente-cinq premières.
Ce n’est pas du donnant-donnant, mais je veux à mon tour, être le plus présent possible pour elle.
Dans le cadre de mon travail dans l’armée, j’ai sillonné le monde. Nous avons déménagé tous les deux ans. Elle qui était kinésithérapeute n’a pu exercer que trois ans, mobilisée ensuite pour gérer la base arrière domestique avec nos quatre enfants. Elle a notamment tenu bon pendant mon absence de six mois à Sarajevo, au cours de laquelle toute la famille a été mutée dans une nouvelle ville. Ce n’est pas du donnant-donnant, mais je veux à mon tour, être le plus présent possible pour elle.
Je sais aussi qu’il faut me préserver une respiration. La mienne consiste à réaliser des recherches sur l’histoire des maisons, à partir des archives départementales, des généalogies. Mais cette activité nécessite des déplacements dans toute la France, afin de rencontrer mes « clients ». Le dernier en date, trois jours à La Rochelle, a mobilisé deux de nos enfants et une amie auprès de Marie-Noëlle. Un sentiment de culpabilité me collait à la peau. Un jour, ma femme ne pourra plus guider sa fourchette à la bouche. Elle aura besoin d’un respirateur. Comment anticiper ? Comment savoir quand les changements feront irruption ? C’est impossible. Malgré ma nature assez souple, ne pas savoir me pèse. Combien de temps pourrais-je encore la soutenir physiquement ? Comme beaucoup d’hommes, j’ai du mal à accepter les limites de mon propre corps.
Pour autant, quand les parlementaires prennent la maladie de Charcot en exemple, afin de justifier la loi sur l’euthanasie, ça me fait terriblement mal. On écarte ce qui est faible : les personnes âgées, malades, porteuses de handicap. Elles coûtent cher à la société. On vous dit qu’on tiendra compte de votre avis, qu’on ne vous poussera pas à la mort. Mais que fera-t-on du consentement quand la pression sociale vous incitera à ne plus peser sur les autres ? Certes, aujourd’hui, ma femme et moi pouvons encore nous promener, grâce à son fauteuil roulant, aller au cinéma, réunir toute la famille, l’été, dans une grande maison louée. Tout ceci ne durera pas. Si je dois rester aux côtés de Marie-Noëlle et laisser tout le reste, je le ferai. Je ne crains pas la mort. Je l’ai suffisamment côtoyée dans mon métier, et je suis convaincu qu’elle est surtout un passage pour aller vers Dieu. Je crois qu’elle ne nous appartient pas. J’en parle avec mon épouse. Elle, elle ne demande qu’une chose : être entourée.
Recueilli par Emmanuelle Ollivry, 4 juin 2024
Le regard de Marie-Noëlle : « Je mesure ma chance d’être accompagnée et soutenue par mon mari. Je sais que son aide est sans limite, ce qui est rassurant pour moi. La pire des choses pour un malade, c’est la solitude. Le fait d’être entourée par Pierre m’aide à accepter la maladie et à faire le deuil du quotidien d’avant. La vie que nous menons est différente, mais tout aussi belle ! Nous goûtons chaque instant donné. »