Série de l'Avent - Des pères face à l'inattendu

[Épisode 4 : Ludovic Berlioux] « Je devais sacrifier mon désir d’enfant parfait »

Ludovic Berlioux est père de trois garçons, dont Paul-Henri, 12 ans, atteint de trisomie 21. Peu adepte des surprises, l’homme organisé a vu ses plans voler en éclat sans autre choix que d’accepter le lâcher-prise, avec l’aide de Dieu. Il raconte ce combat intérieur dans ce dernier épisode de notre série de l’Avent.

Je n’ai jamais été fan du handicap. Il y avait bien ce cousin, polyhandicapé, en fauteuil. Certains disaient que c’était beau, que le dévouement de mon oncle pour lui était admirable. Moi, j’ai toujours préféré ce qui fonctionne, cherché à optimiser les process. En tant qu’assureur spécialisé, ça correspond bien à mon job. Je structure. Je prévois. La surprise de dernière minute, non merci. Sans doute est-ce un tempérament de fond, mais ce que j’ai vécu à 16 ans l’a profondément ancré. 

Mon père est mort sous mes yeux alors que nous faisions une course tous les deux en haute montagne. Cet accident a comme « congelé » mon évolution psychologique pendant dix ans. J’ai cru que, pour ne plus jamais vivre cette souffrance, il fallait tout border. Mais cela relève de l’impossible.

J’essayais de rationaliser : s’il existait 1 risque sur 380 que cet enfant ait un problème, c’est que nous avions 379 chances que tout aille bien.

Je me suis marié à 37 ans. Pierre-Marie est arrivé en février 2010. Il ne pesait que 2 kg. Puis ma femme a fait une fausse couche. Notre vie tanguait déjà pas mal quand la grossesse de Paul-Henri a commencé, en 2011.

Nuque épaisse, mains ridées, doigts courts? Je ne voulais rien voir. Je me mentais à moi-même. J’essayais de rationaliser : s’il existait 1 risque sur 380 que cet enfant ait un problème, c’est que nous avions 379 chances que tout aille bien. Et puis, avec mon épouse, nous avions fermement décidé d’accepter la vie quelle qu’elle soit, sous le regard de Dieu. À la naissance de Paul-Henri, sa trisomie ne sautait pas aux yeux. L’espoir demeurait donc, jusqu’au test génétique, sans appel.

Comme Jacob lutte avec l’ange dans la Genèse, je me m’épuisais, sans cesse écartelé entre les règles sociales et la désinhibition de Paul-Henri me mettant profondément mal à l’aise. 

Passées la torpeur de l’annonce et la révolte, commença alors une vie de fatigue et de gestes répétitifs. Il fallait avancer, notamment pour l’aîné, qui avait tout juste 2 ans. Paul-Henri était à la fois lent et survolté. Il mettait 45 minutes à prendre un biberon mais, entre les repas, devenait comme un hors-bord non gouverné.

Or, dès 2013 est né notre troisième garçon, Eloi. Le rythme était éreintant. Notre vie sociale a explosé et notre couple souffrait. Nous étions tellement différents ! Elle, un peu bohème, dans l’accueil et la spontanéité. Moi, dans l’ordre et le contrôle. On n’est pas passés loin du clash. Comme Jacob lutte avec l’ange dans la Genèse, je m’épuisais, sans cesse écartelé entre les règles sociales et la désinhibition de Paul-Henri me mettant profondément mal à l’aise. 

Pour m’en sortir, j’ai crié vers Dieu. Contre les tempêtes violentes, le ciment de notre famille, c’est la foi. J’ai repensé à Abraham, prêt à sacrifier son fils unique Isaac, parce que Dieu le lui demandait. J’ai compris que je devais sacrifier mon désir d’enfant parfait et lâcher prise, notamment face au regard des autres. 

Saint Joseph, l’homme de l’inattendu, m’a fait découvrir que l’imprévu pouvait aussi être… joyeux !

À cette étape de ma vie, Sainte Thérèse de Lisieux m’a beaucoup aidé. Elle raconte son combat homérique et victorieux pour aimer une religieuse désagréable qu’elle ne peut encadrer… Mon combat à moi, c’était d’accepter la contrariété, d’apprendre la patience. Vous voyez ? Je conjugue mes verbes au passé, même si les difficultés demeurent, car aujourd’hui, je suis plus apaisé. Paul-Henri a grandi mais surtout, Saint Joseph a bien œuvré en moi. 

L’histoire de cet homme n’est pas banale : alors que sa femme Marie vient d’accoucher dans des conditions précaires, ils doivent fuir vers un pays étranger pour éviter que son fils se fasse tuer ! Inspiré par sa confiance en Dieu, je l’ai particulièrement prié il y a trois ans, pour une problématique de logement. Bon, elle ne s’est pas résolue, mais j’ai eu mieux : j’ai décroché un super boulot auquel je ne m’attendais pas. Saint Joseph, l’homme de l’inattendu, m’a fait découvrir que l’imprévu pouvait aussi être… joyeux !

Recueilli par Emmanuelle Ollivry, 23 décembre 2024

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