Série Web - Charcot et nous

Épisode 4 – « Nous saisissons tout ce qui est bon à prendre »

Régis et Véronique Pommeret
© DR

Alors que de nombreuses personnes voient dans la maladie de Charcot une atteinte à la dignité, servant à légitimer le recours au suicide assisté, Ombres & Lumière déroule une série Web « Charcot & nous » : 4 épisodes sur des couples ébranlés dans leur quotidien par la Sclérose latérale amyotrophique (SLA), dite maladie de Charcot. Le proche « aidant » livre son regard sur son proche malade, de plus en plus dépendant, bien loin des projections militantes, avec son paquetage de souffrance et ses réserves d’espérance.

Épisode 4 – Dès que Régis Pommeret ouvre les yeux le matin, la maladie de Charcot de son épouse Véronique se rappelle à lui par une sonnerie. Cet homme de 59 ans exprime l’étendue des soins prodigués, mais aussi le renforcement de la complicité avec sa femme, diagnostiquée l’été 2019.

« En six mois, Véronique est passée de semi-marathonienne à personne en fauteuil roulant, privée de la marche et de la parole. Elle communique depuis cette année avec une tablette à reconnaissance oculaire. La nuit, elle bénéficie d’une gastrostomie et d’un masque pour maintenir l’activité du diaphragme, malgré les muscles atrophiés. Mon épouse, qui a juste un an de moins que moi, conserve toutes ses facultés de raisonnement, de compréhension, de mémoire et d’humour, mais quel contraste avec nos vies d’avant !

Véronique n’a pas beaucoup exercé en tant que puéricultrice car il y avait de quoi faire à la maison avec nos six enfants que nous déplacions à chaque poste que j’occupais, notamment en Afrique. Elle trouvait tout de même le temps de travailler, bénévolement, dans des dispensaires. Son énergie et son caractère très enjoué, me laissaient penser que cette vilaine tendinite et raideur dans la jambe, qu’elle évoquait en 2018, serait vite de l’histoire ancienne. Voilà ce qu’on appelle le déni…

Aujourd’hui, il me suffit d’ouvrir les yeux le matin, à 6h, quand la gastrostomie sonne dans le lit à côté du mien, pour me rappeler que la maladie rythme désormais notre quotidien. Après avoir enlevé le système d’alimentation, je rince les tuyaux, enlève le masque du visage de Véronique. Puis les auxiliaire de vie et aide-soignant arrivent pour la doucher, l’habiller et l’installer dans son fauteuil. Je pars alors travailler. Une activité complètement repensée. Alors que nous devions emménager au Burkina Faso en famille, j’ai quitté mon emploi en 2020, afin d’ajuster ma vie à notre nouvelle réalité. J’ai monté ma micro-entreprise de conseil en géopolitique, en Mayenne, où nous vivons. À l’heure du déjeuner, je rentre le préparer car Véronique mange encore un peu per os*. Je l’accompagne aux toilettes, ce qui nécessite bien une demi-heure.

La maladie n’a pas fragilisé une complicité, tissée pendant trente ans de vie commune. Elle l’a plutôt renforcée.

Le soir, après le dîner, je lui brosse les dents avec un écouvillon et un aspirateur dédié car elle ne peut pas se rincer la bouche dans le lavabo. L’ensemble des soins avant le coucher dure environ une heure.

Certes, je suis un aidant et j’ai acquis des compétences techniques, mais je reste son mari. Statistiquement, l’irruption du handicap provoque parfois une séparation du couple. Je mesure ma chance de ne pas vivre cette épreuve en plus. De mon lit, je peux tenir la main de ma femme. La maladie n’a pas fragilisé une complicité, tissée pendant trente ans de vie commune. Elle l’a plutôt renforcée. J’ai développé une attention plus accrue aux moindres de ses gestes pour saisir ses besoins via un clignement d’yeux, une inclinaison de la tête.

Certaines personnes parlent de ma femme devant elle, comme si elle n’était pas présente.

Bien sûr, restent des incompréhensions, des renoncements aussi. On ne peut plus visiter nos enfants, dîner au restaurant. Notre entourage ne réalise pas toujours le poids des responsabilités, l’évolution inéluctable de la pathologie. « Ça va bien, non ? Rien n’a évolué depuis trois mois, c’est super ! » peut-on parfois entendre. Certaines personnes parlent de ma femme devant elle, comme si elle n’était pas présente. C’est très dur. En plus, Véronique sourit tout le temps et j’ai un naturel optimiste, un peu hyperactif, alors nos proches ne voient pas le risque de fuite en avant ou les découragements face aux incertitudes. Mon dos nécessite des rendez-vous réguliers chez le kiné. Comment ferai-je quand ses jambes n’auront plus aucune tonicité et que je ne pourrai plus la lever seul ? Comment rester patient quand manger un demi-yaourt prend une heure ? Pour autant, à quel moment la vie ne vaudrait-elle plus le coup ?

J’ai l’impression que la loi sur la fin de vie, actuellement débattue, propose de supprimer ceux qui gênent. Attention, je ne donne aucune leçon de morale. C’est tellement dur de voir la déchéance physique de quelqu’un qu’on aime. Mais, là, on parle de vie humaine. Je suis en colère. La société n’a rien de mieux à proposer que d’achever cette vie ? Aujourd’hui, nous cultivons la joie de voir nos amis, de savourer les rayons du soleil dans notre jardin, d’observer la nature frémissante. Nous saisissons tout ce qui est bon à prendre.

Recueilli par Emmanuelle Ollivry, 10 juin 2024

*par la bouche

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