Sur le fil

Etre ou avoir

Je reprends le fil… sur lequel je marche, en perpétuelle recherche d’équilibre. Je m’appelle Sophie, et je souffre d’une pathologie psychique depuis l’adolescence : la bipolarité.

Je ne suis pas ma maladie, j’ai une maladie. J’ai intégré cette distinction vertueuse et pourtant, je frise l’ambivalence parfois dans mon comportement et dans mes réflexions.

J’ai parfois crâné dans le passé avec ce diagnostic pour faire rire dans les salons, et je disais à qui voulait bien l’entendre : « n’est pas bipolaire qui veut… » La vérité pourtant à cette époque, et encore maintenant, c’est que je me retrouve à conjuguer avec une plus ou moins bonne acceptation de cette maladie. J’ai fait le clown en société, cherchant une reconnaissance avec ce trait d’esprit plus fort que le diagnostic. Mais en guise de reconnaissance, je n’ai récolté bien souvent que des rires qui cachaient parfois une subtile stigmatisation.

Récemment, un ami qui voulait m’interpeller sur des personnes souffrant de troubles psychiques en général a dit : « les gens comme toi… » Je ne me souviens même plus de la fin de la phrase. Je me suis arrêtée net sur cette amorce. Je l’ai mal prise. Je me suis sentie catégorisée, réduite à une appartenance de malade, stigmatisée… Je ne le lui ai pas dit. Dans mon cœur je me disais, avant d’avoir une maladie, j’appartiens à ton groupe d’amis.

Dans ces moments-là je ne crâne plus du tout, bien au contraire : je me sens enfoncée dans mes difficultés. Mais c’est un peu recevoir la monnaie de ma pièce !

J’ai une bipolarité, mais c’est mon être qui vit des hauts et des bas. Des hauts qui sont montés très haut parfois, m’amenant à l’hospitalisation, et des bas très sombres et complexes, avec des envies d’en finir… Alors, certes, je ne suis pas ma maladie, mais je compose avec elle : parfois je me bats, parfois je l’assume, parfois je fais l’autruche.

La maladie n’est pas mon être, mais elle est dans l’ombre de mes humeurs, suffisamment importante pour avoir percuté ma vie, et elle explique mon métier (voir ci-dessous).

Je dramatise un peu quand même, puisque c’est surtout en raison de mon parcours de rétablissement que j’ai le désir d’aider d’autres personnes frayant des chemins de désespoir et de doutes, d’énergie folle et de potentiel enfoui, que j’ai empruntés moi aussi.

Je peux dire que la maladie, quelle qu’elle soit, ne nous définit pas, mais qu’elle est parfois très importante dans notre rapport au monde et aux autres.

Et si je prends la parole dans cette chronique, c’est bien parce que je me sais atteinte de ces troubles psychiques, mais surtout parce que j’ai de l’espoir à vivre et à transmettre.

Cette singularité de nos pathologies attire la bonté aussi, de tant et tant de personnes engagées, militantes ou anonymes, et j’en suis certaine, la tendresse de Dieu.

Sophie de Coatpont, ombresetlumiere.fr – 8 avril 2024

Sophie de Coatpont, atteinte de bipolarité, se destine à être médiatrice de santé paire en psychiatrie. Elle suit actuellement une licence professionnelle à l’université et travaille dans une association à temps partiel, où elle apprend à accompagner des adultes avec un handicap psychique. Avec ses mots qui frappent sans jamais abîmer, trempés dans sa foi et sa soif de vivre, Sophie de Coatpont traverse le fil précaire de l’existence, en quête d’équilibre.

Nous avons le regret de voir Sophie Galitzine quitter son fil, sur la pointe des pieds, parce qu’elle souhaitait par grande délicatesse respecter la liberté de sa sœur Anne, malade psychique (voir sa dernière chronique) et nous la remercions pour ces quelques chroniques enlevées ! Une autre Sophie a accepté de reprendre cette même rubrique « Sur le Fil » : Sophie de Coatpont publie aujourd’hui pour Ombres & Lumière sa première chronique, « Être ou avoir », qui touche déjà dans le mille.

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