Sur les lèvres

Être sourde à l’heure des masques

caissière avec un masque
© Istock

Fleuris, chirurgicaux, ornés de motifs géométriques, rayés, en papier… Les masques ont envahi l’espace public et les commerces. À mon grand dam. En tant que personne sourde, j’ai besoin de m’appuyer sur les expressions du visage et la lecture labiale pour établir la communication avec les autres. La moitié du visage ainsi dissimulée, j’ai l’impression de marcher à l’aveugle. Le masque me renvoie à ma propre faiblesse, à ma dépendance. J’ai l’impression de redevenir petite fille : je retrouve ce réflexe de me tourner instinctivement vers la personne que je connais – ma mère ou ma sœur – lorsqu’un inconnu masqué me parle.

C’était le cas l’autre jour : j’accompagnais ma mère, masquée, pour faire des courses. Arrivée à la caisse, elle se tourne vers moi pour me parler… en oubliant le bout de tissu. Et répète devant mon absence de réaction. D’un coup, elle s’est rappelée et l’a immédiatement enlevé… L’instant d’après, le caissier me salue en faisant le signe « bonjour » en langue des signes – avec la main qui va et vient du menton vers l’extérieur. Je lui réponds avec un sourire, poliment. Bien que je connaisse la langue des signes, je la pratique peu. Tout en bipant nos achats, je vois qu’il essaie d’établir la conversation avec moi dans ce langage. Masqué et signant : j’étais doublement perdue… Quelle ironie ! Je l’arrête tout de suite en lui disant : « Je ne maîtrise pas complètement la LSF », mais le remercie tout de même de son attention.

Me voyant m’exprimer oralement, aussi bien avec lui qu’avec ma mère ou ma sœur, il tente de me parler. Toujours sous son masque. Je suis impuissante à lui répondre et mes proches me regardent dans l’attente d’un signe de ma part… D’un coup, la glace se brise. « Tant pis ». Le caissier baisse son masque, et me répète ce qu’il souhaitait me communiquer. J’ai ressenti une immense gratitude pour cette personne, ce jour-là, pour son extrême bienveillance.

Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr – septembre 2020

Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.

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