Une vie de papa

Face à l’inacceptable

portrait de Guillaume

Une pénible histoire vécue par Roxelane et un certain nombre de ses camarades de classe depuis plusieurs mois m’a fait passer des mauvaises nuits, ces derniers temps. Colères, réprimandes, mots déplacés et dévalorisants, nous sommes plusieurs familles à estimer qu’une personne n’a pas les paroles et attitudes adéquates avec nos enfants en classe, avec des agissements qui, nous semble-t-il, auraient été considérés comme inacceptables face à des élèves ordinaires.

Pendant longtemps, je n’ai rien soupçonné. Roxelane et ses camarades ont la parole rare, voire inexistante. Ma fille est dans l’incapacité de porter le moindre jugement sur ce qui est conforme ou déplacé de la part des adultes. Elle n’a pas accès au second degré. En revanche, elle sait exprimer ce qui la contrarie et je repère ce qui la rend agressive. J’ai d’abord mis cela sur le compte de sa propre sensibilité et de maladresses de la part de l’environnement dans lequel elle se trouve. Ces premiers signaux sont devenus des signaux d’inquiétude forts, lorsque je me suis rendu compte que d’autres parents étaient confrontés à des états similaires relatés par leurs propres enfants. Ce parallèle des situations a changé la donne : il nous a poussés à agir et à nous manifester. Au total, nous avons mis deux ans à décoder les troubles du comportement de notre fille.

J’ai été réticent à me manifester, au départ, par crainte de représailles. Que c’est difficile de reconnaître, puis de faire savoir qu’on a un gros doute sur la qualité du travail de la personne chargée de s’occuper de son enfant chaque jour ! Par nature, je fais spontanément confiance à ceux qui interviennent auprès de ma fille. Je me suis interrogé. Et s’ils vivaient cette remise en question comme une forme d’accusation ? Et si le professionnel en question changeait d’attitude face à mon enfant ? La crainte bloque l’action.

Et puis j’ai eu peur de perdre la place de ma fille dans l’établissement. Tout avait pourtant si bien commencé quelques années plus tôt. C’est tellement inespéré d’avoir une place dans une structure que j’ai réfléchi à plusieurs fois avant d’entreprendre une démarche qui risquait de me coûter la place. Ai-je vraiment envie de récupérer mon enfant à domicile ? L’herbe sera-t-elle plus verte dans l’établissement voisin le jour où j’aurai une place ? Je me sens bien petit face à ce type de considération.

À plusieurs parents, nous avons pris notre courage à deux mains et avons fait le nécessaire pour alerter en exposant les faits -de la façon la plus factuelle possible. Fait-on bien ? Fait-on mal ? Le discernement fait remonter bien des scrupules. On se dit finalement qu’on accomplit tout cela pour le bien de nos enfants.

J’ai été naïf. J’ai pensé qu’en relatant les dysfonctionnements à plusieurs, les procédures d’alerte et de vérification allaient se mettre en place très rapidement. J’ai pensé que chacun aurait la possibilité d’exprimer son point de vue, pour faire évoluer la situation dans le bon sens. Les choses ne se sont pas déroulées de cette façon. Il a fallu escalader, alerter plus haut dans la hiérarchie -avec toute la pesanteur de chaque message qu’on envoie.

 Nous avons déjà tellement d’autres choses à faire quand on est parent d’enfant handicapé. À ma grande consternation, j’ai vu les faits remontés par nos enfants mis en doute sans préalable, sans proposition de dialogue, avec la douleur que cela entraîne. Face à ce que je considère comme du déni, la colère a commencé à prendre le dessus. Ce n’est pas parce qu’ils sont en situation de handicap que nos enfants ne peuvent pas exprimer leur point de vue, même avec toutes les précautions d’interprétation.

J’ai le sentiment désagréable que toute notre démarche n’aura servi à rien. Que les choses continueront comme avant. Les faits auraient-ils dû être plus graves pour que l’immobilisme ne prenne pas le dessus ? Pourtant, il s’agit de santé mentale de jeunes adolescents. Notre fille et d’autres de ses camarades ont touché le fond, d’autres auraient tenté de mettre fin à leurs jours. Il ne faut pas croire que cela n’existe pas dans l’univers du handicap.

Nous, parents, avons vécu toute cette réalité de façon douloureuse et le soutien respectif porté aux uns et aux autres nous a apporté un réconfort que personne ne nous ôtera.

Guillaume Kaltenbach – 24 juin 2025

Guillaume Kaltenbach est père de trois enfants dont Roxelane, 16 ans, atteinte de troubles du spectre autistique. De confession protestante, ce chef d’entreprise est impliqué dans différentes initiatives professionnelles et bénévoles visant l’amélioration de l’inclusion des personnes en situation de handicap.

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