Invincible espérance

Olivier Goy
© Guillemette de Préval.

Le 31 mai a eu lieu l’avant-première d’ « Invincible été », au cinéma Le Grand Rex à Paris, dans une salle comble et émue.
Ce documentaire de Stéphanie Pillonca, dont Ombres & Lumière est partenaire, nous plonge dans la vie d’Olivier Goy, atteint de la maladie de Charcot. Rencontre avec cet homme de 49 ans, joyeusement combatif.  

« Je vous préviens, il est difficile de me comprendre alors n’hésitez pas à me faire répéter », annonce Olivier Goy, à l’accueil du siège parisien de son entreprise. Avec un large sourire, un regard pénétrant, l’homme impose d’emblée une assurance déconcertante. Si les mots dans sa bouche trébuchent, c’est à cause de la Sclérose Latérale Amyotrophique (SLA), plus communément appelée la maladie de Charcot. Cette colocataire invasive et dégénérative a pris ses quartiers en décembre 2020. Tout a commencé par des douleurs au bras droit. « Une tendinite », pense-il alors. S’ensuivent des difficultés à parler. « L’une des choses les plus difficiles à vivre. J’avais des facilités d’expression. Dans ma tête, de belles phrases me viennent mais elles ne ressortent plus comme j’aimerais. » Il n’est pas rare que l’on s’adresse à la personne qui l’accompagne plutôt qu’à lui. « Certains me prennent pour un idiot », regrette ce brillant entrepreneur, co-fondateur de deux entreprises dans le financement participatif, dont l’une à l’âge de 26 ans.   

Les trois mois qui suivent le diagnostic sont très durs pour cet ancien sportif et passionné de photo depuis une dizaine d’années. Il faut l’annoncer à son épouse Virginie puis à ses deux fils, Clément et Louis, 17 et 14 ans. Tous deux sont très unis autour de leur père. Son cadet en parle sans tabou sur les réseaux sociaux. En mars, son aîné lui a demandé de témoigner dans son lycée. « Papa a toujours eu un côté pionnier, confie Clément. Dans son travail ou ses engagements caritatifs, il est mû par l’envie d’améliorer les choses. Il en va de même pour Charcot. » Ce futur bachelier passionné d’économie sent combien cette lourde épreuve le transforme : « Face à la maladie, une sorte de condensé de vie se met en marche : on se recentre sur l’essentiel et chaque moment avec lui en famille, si insignifiant soit-il, devient un instant privilégié. Papa est empathique, il a toujours été à l’écoute. Sa maladie a approfondi ce qu’il avait déjà en lui. »

Parmi les proches d’Olivier Goy, aucun ne vit avec un lourd handicap. Mais la mort précoce et foudroyante de deux chers amis et collègues lui avait déjà fait toucher du doigt la fragilité de la vie. « Après mon diagnostic, j’ai été accompagné par des psychologues et médecins. Grâce à eux, j’ai retrouvé goût à la vie. Je ne devais pas me condamner deux fois et m’empêcher de vivre. » Le naturel revient vite au galop. En mars 2021, il confie son histoire dans un podcast. Des milliers de messages affluent. C’est le déclic. Il contacte la réalisatrice Stéphanie Pillonca pour tourner un film sur sa maladie.

Par ce biais, il souhaite faire connaître la réalité de ce mal qui touche 1 500 personnes par an en France. « Le jour de notre rencontre, Stéphanie venait m’annoncer décliner le projet, se souvient-il, un café dans les mains. On a discuté longuement. Trois jours après… Le tournage commençait ! » Ces neuf mois d’aventure documentaire sont denses humainement. « Je vais vous montrer… » D’un clic sur son ordinateur, Olivier passe un extrait du film. L’émotion surgit devant sa rencontre avec Gilles Ménard, père de l’ancienne miss France Malika Ménard, lui aussi atteint de Charcot.

Olivier Goy ne veut pas endosser la casquette de militant. Fin février, il rencontre néanmoins Emmanuel Macron et lui fait part de revendications : la lenteur des démarches administratives, le coût élevé et le délai d’attente pour obtenir un fauteuil roulant… « Je l’ai senti à l’écoute. » Le débat actuel sur la fin de vie agite la société mais il ne se prononce pas sur le fond. « C’est si délicat… » À son échelle, il veut témoigner de la beauté de la vie. « Grâce à la médiatisation de mon histoire, des personnes atteintes de la même maladie m’ont contacté. Certaines avaient pensé au suicide mais mon témoignage les en ont dissuadé… », confie-t-il pudiquement. « Mais je ne me prends pas pour Jésus ! », lance-t-il, rieur, animé de cette constante étincelle dans les yeux. Olivier Goy a grandi dans une famille catholique, mais n’est pas pratiquant. Il se dit « spirituel ». Son film en est teinté par des conversations avec Mathieu Ricard, moine bouddhiste et la rabbin Delphine Horvilleur. Sa profondeur le marque, elle l’amène à penser différemment. Grâce à elle, Olivier Goy mesure à quel point l’épreuve douloureuse du handicap est capable « d’agrandir » l’autre : « Beaucoup se confient à moi. Comme si le fait d’être vulnérable invitait l’autre à montrer ses fragilités. » Il affirme sereinement ne plus avoir peur de la mort : « Face à elle, l’Homme peut se laisser surprendre par une force de vie intérieure, à l’image de cet ‘invincible été’ qui m’habite ». Il emprunte la formule à Albert Camus, tirée de ce vers : « Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été ».  

Se laisser déplacer, c’est peut-être le fil rouge de sa vie. Olivier Goy n’a pas attendu la maladie pour mettre ses talents au profit des exclus de la société. Avec sa femme, ils ont créé en 2019 photo4food, une fondation pour financer des repas aux plus démunis via la vente de photos de jeunes artistes. Les recettes de son documentaire seront reversées à l’Institut du cerveau (ICM).

Passée la frénésie du film, cet opiniâtre veut faire une pause et se concentrer sur sa famille, son travail… Les soins prennent beaucoup de temps et d’énergie à celui qui se décrit souvent comme un « combattant ». Clin d’œil ? Le rendez-vous a été donné rue de la Victoire, dans un Paris fraîchement printanier. Cette rencontre a bien le goût d’une victorieuse espérance.

Guillemette de Préval – 31 mai 2023

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