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Jacques Besson, psychiatre : « La vie spirituelle du patient est un vrai levier pour le rétablissement »
Jacques Besson est professeur à la Faculté de biologie et de médecine de l’université de Lausanne. Addictologue, il est l’ancien chef du service de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois.
Avoir une vie spirituelle quand on a des troubles psychiques, c’est risqué ?
Beaucoup de personnes font la confusion entre « délire mystique » et « état mystique ». L’état mystique est un état normal. C’est un moment où la personne médite, contemple, fait état d’une conscience élargie. C’est un état de prière réversible. Tout cela est bon pour la santé mentale, diminue l’anxiété et contribue au rétablissement de la personne. C’est aussi une conviction partagée par une communauté. Le délire mystique est diamétralement opposé. Il s’inscrit dans une psychopathologie. Ce sont des convictions inébranlables et étranges. Il déborde du cadre culturel admis.
Au fond, il y a de profondes angoisses. Cela peut se manifester par un état persécutoire, avec ou sans hallucinations. La personne peut être auto-agressive – par des tentatives de suicide, certains disent que le diable leur demande de se tuer – ou hétéro agressive : à Lausanne, une personne schizophrène en plein délire a mis feu à la réceptionniste d’un hôtel pensant que c’était le diable.
Un jour, un jeune patient schizophrène s’est subitement convertit au bouddhisme. Il pratiquait beaucoup de purifications. L’équipe médicale voyait ça plutôt d’un bon œil car il allait de mieux en mieux. Mais un jour, pour se purifier « complètement », il est allé se noyer dans un lac…
Les psychiatres regardent souvent d’un mauvais œil la spiritualité d’un patient…
Oui car il y a aussi une confusion entre spiritualité et religion. La spiritualité est un besoin naturel propre à chaque homme. C’est une quête de sens et de liens : avec soi-même, les autres et ce qui nous entoure. Si vous avez confiance dans ce triple lien, cela donne un sens à la vie, à la compréhension du monde et beaucoup d’études démontrent qu’une spiritualité a des effets positifs sur le rétablissement.
Quant aux religions, ce sont des réponses culturelles à ce besoin naturel. Elles sont faites de traditions, d’institutions, de rituels. Les croyants se soumettent à des règles, des dogmes. S’il y a trop de règles suivies sans réflexion et de façon trop littérale, oui, cela peut nuire au patient. Tout est une question de dosage. Mais nier la spiritualité d’une personne est grave. Cela fait partie des droits fondamentaux de toute personne. L’OMS, en 2005, définit d’ailleurs la santé comme étant un état de bien-être physique, mental, social et spirituel.
Comment prendre en compte le patient dans son intégralité ?
L’Association américaine de psychiatrie, dans son manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM en anglais) a par exemple édicté une recommandation, celle de faire l’histoire mentale, somatique, culturelle et spirituelle – que l’on appelle l’anamnèse – de chaque patient. À Lausanne, on suit cette recommandation, dans les services psychiatriques et en consultation ambulatoire. L’idée est de mieux connaître l’anamnèse du patient pour l’aider au mieux dans son rétablissement.
Un jour, un jeune patient schizophrène s’est subitement convertit au bouddhisme. Il pratiquait beaucoup de purifications. L’équipe médicale voyait ça plutôt d’un bon œil car il allait de mieux en mieux. Mais un jour, pour se purifier « complètement », il est allé se noyer dans un lac… Personne n’avait anticipé ce geste. J’ai demandé à consulter son dossier. En fait, le bouddhisme qu’il suivait était délirant et n’avait rien à voir avec le traditionnel. Sauf que personne n’était allé regarder plus loin. Depuis, on a un représentant du culte bouddhiste avec qui on peut travailler.
Les psychiatres ne connaissent pas bien la différence entre spiritualité et religion. La santé spirituelle est peu connue aux yeux de la science matérialiste où le biologique prime. Les médecins sont agnostiques pour la plupart, et sont vite échaudés lorsque l’on parle de ce sujet-là.
Cela suppose une vigilance et un certain intérêt accordé au spirituel du côté médical…
Oui, et on touche là à une limite. Les psychiatres ne connaissent pas bien la différence entre spiritualité et religion. La santé spirituelle est peu connue aux yeux de la science matérialiste où le biologique prime. Les médecins sont agnostiques pour la plupart, et sont vite échaudés lorsque l’on parle de ce sujet-là. Ils craignent d’accentuer la psychopathologie. L’étude date mais reste très parlante : en 2001, on avait interrogé des patients en psychiatrie pour savoir s’ils souhaitaient parler de spiritualité à leur médecin : 80% d’entre eux souhaitaient le faire.
La même question a été posée du côté des médecins : 80% ne souhaitaient pas le faire. Or, si l’on aborde sérieusement la vie spirituelle du patient c’est un vrai levier pour son rétablissement.
Avez-vous des pistes concrètes pour aider les psychiatres à parler de spiritualité ?
Il existe aussi un moyen simple, peu intrusif, pour savoir quel est le degré de proximité spirituelle d’un patient. Il s’agit du questionnaire « H.O.P.E. » à soumettre au patient : H, de l’anglais « hope » pour savoir quelles sont les sources d’espoir du patient ; O, comme « organized religion », s’il appartient à une communauté religieuse ; P, comme « practices », s’il pratique un culte ; et E pour « effects on medical care », c’est-à-dire quelle éthique adopter, s’il a besoin de rencontrer un accompagnant spirituel.
On peut aussi aborder ces thèmes en proposant une remédiation cognitive au patient. L’idée est de comprendre quels sont ses biais cognitifs : son histoire spirituelle, ses références, ce qui lui a été transmis… Et ce n’est pas à un psychiatre de le faire, mais à un aumônier.
Cette prise en compte de la spiritualité demande plus de temps. Or, le monde psychiatrique est en souffrance…
À court terme, cela demande plus de temps de ne pas traiter la maladie avec les seuls médicaments. Mais sinon, on ne s’attaque pas au fond du problème, et les patients reviendront. Sur le long terme, c’est plus efficace.
Recueilli par Guillemette de Préval – le 7 janvier 2025