Restons poly

J’ai déposé mon armure

portrait de Caroline Saillet

Nous sommes incapables de programmer nous-mêmes nos vacances. Alors on se laisse faire. Cinq jours à Palma ! Tous les deux épuisés en fin d’année scolaire, notre dernière fille et son fiancé décident de nous organiser cette escapade. Et nous voilà partis tous les deux, Hubert et moi, en demi-pension dans un hôtel. Nous n’aurons rien à faire. Juste nous retrouver et nous reposer. Cela fait si longtemps que nous n’avons pu le faire – nous sommes vraiment heureux.

À l’hôtel, nous avons même droit à deux massages, « déstresse » et « relaxant », offerts par nos enfants. L’Espagnole qui commence à me masser souffre sur mon dos et mes jambes, tant ils sont durs et pleins de nœuds. Je les sens. Je souffre aussi : ça me fait un mal de chien. J’en viens à me demander si j’ai bien fait d’accepter ce massage.

Petit à petit, j’ai l’impression qu’elle fissure mon armure de guerrière. Celle que je mets sans m’en rendre compte quand les épreuves arrivent et s’accumulent.

Pour tenir debout, je me suis blindée. Chaque matin, je m’active, j’agis efficacement, mais mon corps souffre et s’endurcit. Aujourd’hui, là, dans cette pièce, cette femme qui me parle en espagnol – et je ne comprends rien – en bave pour tout dénouer. Si seulement je pouvais la remercier pour tout le bien qu’elle me fait.

Avant de sortir, je traduis sur mon téléphone : « Merci Madame : j’ai l’impression d’avoir déposé mon armure de combattante. » J’ai les larmes aux yeux. Elle aussi. Elle me prend dans les bras et me dit qu’il faudra me faire masser une fois par semaine, que c’est même vital pour tenir. Elle a raison, mais je sais que je ne le ferai pas. Elle a tellement raison. Le ver de terre tout nu sans son armure se sent fragile, vulnérable. Mon armure réapparaîtra bien vite, hélas.

Et pourtant je le sais. Nous, parents d’enfant ou adulte polyhandicapé, devrions avoir la possibilité, le devoir même de prendre ces cinq jours dans l’année, pour nous retrouver à deux et nous faire du bien. Ce devrait même être une ordonnance du médecin. Car nous avons mal partout, et nous avons besoin de tenir sur de longues années.

Mes nœuds se dénouent pour un temps, mais j’ai la conviction que mon armure véritable, ma bonne armure, c’est Jésus. C’est lui qui me donne toujours l’énergie nécessaire, la joie et la paix que je ressens profondément, malgré tout. Malgré le dos rompu. Et cette armure, elle, ne doit jamais se fissurer.

Caroline Saillet, ombresetlumiere.fr – 2 septembre 2024

Psychomotricienne par vocation, Caroline Saillet a toujours été proche des personnes porteuses de handicap. Mariée à Hubert Saillet, notre ancien chroniqueur, elle est mère de cinq enfants, dont Marie Océane, polyhandicapée. Bricoleuse, créative, un peu hyperactive, elle dévoile des recoins du quotidien et des réflexions sur le polyhandicap en partant de son expérience.

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