Dossier
« Je ne suis plus l’esclave de mes crises »
Sensible et affable, Isabelle, 33 ans, atteinte de troubles de la personnalité borderline, a accepté de témoigner de son parcours pour Ombres & Lumière. Cette analyste politique, qui suit en parallèle des études de psychologie, est devenue bénévole pour l’association La Maison perchée, à Paris (1).
Aussi loin que je me souvienne, mes premiers symptômes de mon trouble borderline ont commencé quand j’avais 8 ans. Je piquais beaucoup de colères. On disait de moi que j’étais très théâtrale, que je cherchais à accaparer l’attention. Toutes mes sautes d’humeur étaient vues sous ce prisme. Ça n’a pas été pris au sérieux. J’avais des comportements destructeurs envers moi-même. Je me souviens avoir entouré mon cou d’une ceinture et l’avoir serrée pour m’étrangler. Heureusement, ma mère était près de moi à ce moment-là. Mais elle ne m’a pas emmené voir quelqu’un ensuite.
Un peu plus tard, j’ai demandé à aller voir un psychologue car je me sentais un peu dépressive. Par ailleurs, une fille de mon école avait fait une tentative de suicide, et tous ses symptômes faisaient écho à ce que je ressentais. Ma famille n’a pas donné suite à ma demande. Tout ça pouvait ressembler à une grosse crise d’adolescence. Au fil des années, je voyais bien mes amies se stabiliser émotionnellement en grandissant, tandis que moi, non. J’étais esclave de mes émotions. Je pense que j’aurais pu ne pas être borderline si une prise en charge avait été faite dès l’enfance… Mon comportement s’est peu à peu cristallisé et je me suis construite avec ça.
« La prise de médicaments m’avait coupé de toute émotion »
Juste avant mes 30 ans, j’ai fait une tentative de suicide. On a voulu m’hospitaliser à l’hôpital Sainte-Anne, mais j’ai demandé à sortir et me faire accompagner. J’ai commencé un suivi avec un psychanalyste. Avec le cap de la trentaine, mes symptômes se sont aggravés. Je voulais avoir des enfants et ai été saisie de fortes angoisses. Je me disais que je ne pourrai jamais être une bonne mère… Ça a été un déclic pour me faire aider. J’avais déjà vu des psychologues, mais je n’allais jamais jusqu’au bout du travail. Je faisais trois séances avec l’un, tout au plus.
En décembre 2019, j’ai initié un réel suivi psychologique puis psychiatrique. Je suis toujours accompagnée par les mêmes aujourd’hui. C’est à ce moment-là que la psychiatre m’a diagnostiqué borderline. Une amie m’en avait déjà parlé, mais je n’y connaissais pas grand-chose. J’étais prête à entendre ce que c’était. La psychiatre a proposé de me renseigner sur ce qu’était ce trouble, et de revenir la voir, une semaine après, pour en discuter. J’ai dévoré des témoignages, analyses scientifiques, j’ai rejoint des groupes de personnes concernées… J’ai découvert les thérapies comportementales et du développement (TCD). C’est une méthode qui permet d’apprendre à mieux gérer ses émotions, les canaliser, les comprendre, sans avoir besoin de prendre de médicaments. J’en avais déjà pris et ça ne m’avait pas du tout réussi. La prise de médicaments m’avait coupé de toute émotion. N’ayant plus de ressentis, ça a « étouffé » mes sentiments et je n’ai pas vu venir une autre crise, la plus forte que j’ai vécue. Ma psychiatre était d’accord pour que je suive cette méthode.
Depuis ce jour, je n’ai fait que consulter des spécialistes du trouble borderline, et je suis allée de mieux en mieux. J’ai enfin pu mettre des mots sur ce que je vivais ! Par exemple, je pouvais très vite idéaliser quelqu’un, puis en être très déçue. J’avais l’impression de devenir folle, d’être constamment manipulée. C’était compliqué à vivre, pour moi et les autres. Lire noir sur blanc qu’il s’agissait d’un des symptômes de ma maladie m’a beaucoup soulagée.
« Grâce au diagnostic, la maladie a pris une autre place »
Lorsque je l’ai dit à mes proches, qui ont beaucoup souffert avec moi de ces crises, ils ont été un peu rassurés. Pour eux, s’il y avait une explication, c’est qu’il y avait des solutions et une stabilisation possible. La maladie n’a pas fait irruption un jour précis dans ma vie. Elle a toujours fait partie de moi. Mais lorsque le diagnostic a été posé, celle-ci a pris place d’une autre manière. Je vis encore des crises aujourd’hui, mais moins fortes. Elles ont moins d’emprise sur moi. Je n’en suis plus l’esclave. Désormais, j’arrive à voir ses côtés positifs. J’ai l’impression d’avoir développé une grande empathie. Les autres osent se confier à moi. Bien sûr, si à ce moment-là, je traverse moi-même une période de souffrances, je n’en suis pas capable et ai besoin de m’isoler. Mes émotions sont encore très spontanées. Je peux vite passer du rire aux larmes, comme un éclair. Avec mon conjoint notamment, c’est compliqué car je peux le fuir rapidement et le laisser sans nouvelles, du jour au lendemain.
Je me suis créé une sorte de « boîte à outils » lorsque je sens une crise survenir. Je me sens armée. D’abord, j’évite de me mettre en danger. Si je ne me sens pas bien, j’évite de sortir. Lorsque je suis chez moi, j’ai un protocole d’activités qui stimulent mon mental et mon physique : préparer une bouillotte, allumer une bougie, goûter un carré de chocolat, regarder une vidéo… Ces petits gestes me posent. Une crise dure rarement plus de plusieurs heures, deux jours tout au plus. Mais cela reste éprouvant.
Ce que j’aimerais dire à quelqu’un qui traverse cela, c’est le prévenir que son rétablissement ne se fera pas du jour au lendemain, mais qu’on peut vraiment aller mieux. Je n’y croyais pas lorsque l’on me le disait, mais j’en suis sûre aujourd’hui. Il est possible d’avoir une belle vie malgré cela !
Recueilli par Guillemette de Préval – ombresetlumiere.fr, 16 janvier 2024
(1) En écho à notre dossier sur l’irruption de la maladie psychique, la revue Ombres & Lumière et La Maison Perchée s’associent pour proposer à tout jeune concerné un atelier d’écriture « Les cris », animé par Marianne Roubaud, infirmière en secteur psychiatrique formée en art et thérapie, le samedi 10 février 2024, à 10h30, à la Maison Perchée, 59 avenue de la République, 75011 Paris. Inscriptions obligatoires sur ombresetlumiere@och.fr