Jérôme Lejeune, la force d’âme
Un DVD, instructif et émouvant, sur la vie et l’œuvre du découvreur de la trisomie 21 est disponible. Trois questions au réalisateur, François Lespes.
Comment est né le projet de ce documentaire ?
C’est en écoutant le témoignage de Clara Gaymard, la fille du Professeur Lejeune, en novembre 2012, que j’ai été profondément touché par ce qu’elle disait de son père. Je connaissais un peu Jérôme Lejeune, mais j’en avais l’image surannée, un peu pastel de « l’ami des trisomiques », d’un « saint » du siècle dernier. En découvrant son histoire, j’ai été interpellé par son parcours en forme de tragédie grecque, avec cette fulgurante ascension d’un jeune chercheur devenu mondialement connu, généticien expert à l’ONU, etc…suivie de cette prise de conscience, à la fin des années 60, que sa découverte va être utilisée pour supprimer les malades, et non pour les aider. S’en suit une chute encore plus rapide : il est ostracisé de partout, perd ses crédits… J’ai été touché par sa force d’âme, car il savait le risque qu’il prenait lorsqu’il a défendu la dignité de l’embryon, lors d’un discours en 1969. Vingt ans après sa mort, les fruits très concrets de ce qu’il a semé commencent à germer. Le Professeur Lejeune est un géant français que l’on a radié de l’histoire officielle.
Pourquoi avoir tourné autant aux Etats-Unis ?
Plusieurs moments-clé de la vie du Professeur se passent aux Etats-Unis. Le discours de 1969 qui va précipiter sa chute se déroule à San Francisco. Vingt ans plus tard, en 1989, il y a ce grand procès des embryons congelés à Maryville (Tennessee), où il parle devant la scène américaine, et qui a beaucoup marqué là-bas. C’est aussi aux Etats Unis que j’ai rencontré plusieurs scientifiques qui ont été touchés par le message et le témoignage du Professeur Lejeune. Ils assument cette filiation sans complexe… En France, dès qu’on parle de Lejeune, toutes les portes académiques se ferment ! Enfin, j’ai le sentiment qu’aux Etats-Unis, la situation des personnes trisomiques est un peu meilleure qu’en France, l’intégration y est plus poussée. Par exemple, chaque année depuis 50 ans, il y a une grande convention annuelle sur la trisomie. Il y a une vitalité qui est encourageante.
Qu’est-ce qui vous a touché chez les personnes trisomiques que vous avez rencontrées lors du tournage ?
J’avais un a priori favorable mais finalement, je les connaissais très peu. Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est leur énergie : ce sont des boules de vie et de joie. A la convention américaine, où 3000 personnes étaient réunies, dont de nombreuses personnes trisomiques, j’ai pu les voir danser toute la soirée… La vie jaillit de ces personnes de manière beaucoup plus décomplexée et directe. On va tout de suite à l’essentiel, qui est la qualité de la relation et de l’affection. Leur variété aussi est frappante : j’en ai rencontré certains qui travaillent, d’autres qui vivent seuls, et même un couple marié. J’ai aussi été touché du fait que les familles accueillant des enfants trisomiques m’ont dit que cet enfant était quelque part le ciment de leur famille.
Recueilli par Cyril Douillet
« Au plus petit d’entre les miens« , de François Lespes. 19 €