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Après les Jeux paralympiques : quelles perspectives pour le handicap mental ?

Marie Graftieux
Marie Graftiaux, championne de natation et porteuse d’une trisomie 21, plaide pour que davantage d’athlètes atteints d’un handicap mental puissent participer aux jeux paralympiques. © DR.

Les Jeux paralympiques de Paris viennent de s’achever dans un élan populaire inespéré. Parmi les 4 400 para-athlètes, seuls 157 étaient atteints d’un handicap mental. Si des signes encourageants d’ouverture émergent, de vrais obstacles persistent dans leur accès à cette compétition sportive.

« Les Jeux paralympiques sont un coup de projecteur unique sur le handicap en France, mais ils restent quasiment inaccessibles pour les personnes avec une déficience intellectuelle » : tel est le constat objectif de Luc Gateau, président de l’Unapei, réseau d’associations liées au handicap mental et psychique. Sur les 4 400 athlètes qui ont concouru aux Jeux paralympiques de Paris, en 2024, seuls 157 étaient porteurs d’un handicap mental. Pourquoi sont-ils aussi peu ? Leur intégration est-elle utopique ?

Il faut dire que le sport adapté revient de loin. Initiée en 1996 pour les athlètes avec un handicap intellectuel, l’aventure paralympique s’arrête brusquement quatre ans plus tard aux Jeux de Sydney de 2000. L’équipe espagnole de basket adapté, qui remporte l’or, a recruté des joueurs « valides » et floué le comité. Ce scandale éclabousse injustement les « vrais » athlètes atteint d’un handicap mental, qui se retrouvent alors exclus de la prestigieuse compétition. C’est seulement aux Jeux paralympiques de Londres de 2012 que ces derniers peuvent à nouveau concourir. Entre-temps, un travail est mis en place : une éligibilité, afin de déterminer qu’un athlète présente bel et bien une déficience intellectuelle, ainsi qu’une classification, pour démontrer que celle-ci a bien un impact dans sa pratique sportive. « La tricherie de 2000 est encore une blessure vive, malheureusement », déplore Sylvain Sabatier, directeur des territoires au sein du Comité Paralympique et Sportif Français (CPSF).

Une seule et même catégorie

La réouverture a bel et bien lieu, mais elle est doublement limitée. D’abord, ces athlètes ne peuvent se présenter que dans trois disciplines – la natation, l’athlétisme et le tennis de table – ce qui restreint leur nombre. « Au sein des Global Games (compétition internationale qui fait s’affronter des athlètes atteints d’un handicap mental), ce sont ces trois disciplines qui sont les plus développées. Aux Jeux paralympiques, explique Marc Truffaut, président de la Fédération française des sports adaptés (FFSA). Cela a donc été plus facile de les réintégrer ». Dans ces trois disciplines, une seule et même catégorie englobe tous les sportifs avec un handicap mental. Or, les organisations internationales du sport adapté reconnaissent trois catégories : la déficience intellectuelle (classifiée II1), la déficience intellectuelle avec un sur-handicap, qui inclut en particulier la trisomie 21 (classifiée II2), et l’autisme sans déficience (classifiée en II3). Or, seuls les sportifs appartenant à la catégorie II1 peuvent participer aux Jeux paralympiques. « Pour les déficients visuels, il existe trois catégories différentes, précise Marc Truffaut. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les personnes en situation de handicap mental ? Il y a pourtant des situations très diverses au sein de cette seule catégorie. »

« On ne soupçonne pas la puissance symbolique de cet évènement ! »

À commencer par la trisomie 21. Aucun athlète qui en est porteur n’a pu concourir aux Jeux paralympiques, ce que regrette beaucoup Marie Graftiaux, championne du monde en 400 mètres quatre nages aux Global Games 2023, elle-même trisomique. « La trisomie 21 c’est un handicap mental et physique, explique celle qui a porté fièrement la flamme olympique. Il faut une catégorie qui prenne en compte les deux. » La mère de la jeune femme de 29 ans abonde : « Si on ouvre davantage les Jeux au handicap mental, cela permet à des personnes de s’identifier, de se projeter. Cela montre leurs capacités au reste de la société et peut rejaillir sur l’emploi, l’inclusion citoyenne… On ne soupçonne pas la puissance symbolique de cet évènement ! » À ceux qui répondent qu’il existe déjà les Virtus Global Games pour les personnes déficientes mentales, elle répond vivement : « C’est comme si vous disiez aux athlètes olympiques qu’ils ont déjà leurs championnats mondiaux et que cela suffisait. Ça n’a pas la même portée ! » Marc Truffaut renchérit : « Il existe aussi les ‘Special Olympics’, créés par Eunice Kennedy pour permettre aux personnes handicapées mentales de se rencontrer autour de compétitions sportives, mais il n’y a pas ce côté performance comme dans les jeux para. »

À ce stade, comment aller plus loin ? « Tout est entre les mains du Comité international paralympique (IPC), seul décisionnaire, clarifie Marc Truffaut. Ajouter une nouvelle discipline ou une nouvelle catégorie de handicap est un jeu de négociations entre les fédérations nationales et l’IPC. » C’est ce dernier qui impose le nombre d’athlètes pouvant participer aux Jeux para. Pour ceux de 2024, ce numerus clausus s’était hissé à 4 400. « Beaucoup craignent que l’accueil du sport adapté se fasse au détriment d’autres athlètes, relève la mère de Marie Graftiaux. Mais quand les jeux se sont ouverts aux femmes puis aux para-athlètes, les autres n’ont pas été exclus ! »

Objectifs jeux d’hiver

Si Marc Truffaut assure que des « négociations sont en cours » pour l’ouverture de certaines disciplines – tels « le basket 3×3 et certains arts martiaux », souffle l’ancien éducateur sportif en Esat et foyer de vie – celui-ci pointe un « cercle vicieux » difficile à contrecarrer : « Pour pouvoir inscrire une discipline aux Jeux paralympiques, il faut qu’elle soit pratiquée dans de nombreux pays du monde. Or, si un sport n’est pas au programme des Jeux, les pays se mobilisent bien moins. Certains d’entre eux, notamment les plus pauvres, n’investissent donc pas dans ce sport. Bref, c’est le serpent qui se mord la queue ! Heureusement, en France, on est bien soutenus. Même si seulement trois disciplines sont paralympiques, le Ministère des sports soutient financièrement 17 disciplines. » Un des enjeux est d’ouvrir amplement la pratique sportive aux personnes handicapées mentales.

« On en est encore loin, mais il y a des progrès, le regard évolue, appuie Sylvain Sabatier. Nous organisons des rencontres entre les clubs sportifs et un public handicapé. Beaucoup de freins résident dans la représentation que l’on se fait du handicap. » Ce dernier cite l’ambition de « Club inclusif », qui œuvre à l’ouverture des clubs sportifs à tout type de handicap. « Sur les 165 000 clubs qui existent en France, l’objectif est de rendre inclusifs 3 000 d’entre eux. Aujourd’hui, 1 500 clubs sont déjà engagés dans cette voie. Cela paraît peu, mais l’idée est de créer un effet boule de neige. »

Un autre chantier de taille se dessine : les Jeux paralympiques d’hiver de 2030, qui auront lieu en France. « À ce jour, aucune discipline ne s’est réouverte au sport adapté, regrette Marc Truffaut. Des athlètes porteurs d’un handicap mental étaient présents en 1998 mais, depuis le scandale de 2009, rien n’a bougé. Pour le coup, les préjugés sont encore coriaces, car le numérus clausus des athlètes n’est pas atteint, on pourrait en accueillir davantage. Des épreuves font peur, comme le ski alpin. Certains appréhendent la capacité des sportifs à descendre les pistes… Nous, on n’a aucun doute là-dessus ! »

Guillemette de Préval, ombresetlumiere.fr – 9 septembre 2024

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