Chroniques

Discours et délicatesse

un mariage
© Istock.

J’ai des amis qui se sont mariés ce week-end. On avait de quoi être émus lorsqu’ils sont sortis de l’église, rayonnants : deux mois auparavant, lui a failli passer à côté de la mort à la suite d’un coup de chaud, après une compétition de course intense… Après un passage en réanimation, la vie a gagné. On avait tous le cœur plein de gratitude. Un moment suspendu sous un ciel bleu, après la tornade de la rentrée.

Les conversations vont bon train pendant le cocktail, ça jase dans tous les sens. Heureusement, on est dehors, point d’écho pour venir perturber ma concentration durant mon échange avec mes interlocuteurs. C’est bientôt le discours des papas… Le jour baisse et la lumière avec. Aïe, vais-je tout comprendre ? Je redoute comme j’attends ce moment : j’aime écouter les discours, mais seulement quand je suis dans de bonnes conditions pour les entendre. Durant la messe, je n’ai pas compris un seul mot de l’homélie du prêtre, bien qu’assise à la troisième rangée. L’écho de sa voix se perd dans les tréfonds de l’abbatiale. Je m’ennuie parfois, lisant pour la énième fois le livret de messe.

Malgré tout, je prends toutes mes dispositions pour être la mieux placée possible. Les parents sont montés sur la balustrade, je me trouve derrière les mariés. Le père commence avec des jeux de mots sur les prénoms des mariés ; tout le monde, y compris moi, rit de bon cœur. Quel bonheur, je perçois bien sa voix, l’enceinte est tout près, je peux me laisser toucher par les bons mots du père du marié. Le discours suivant, celui des parents de la mariée, est une sorte de poésie, écrite à partir d’une chanson en slam de Grand Corps Malade. Ils ont imprimé des feuilles à distribuer dans l’assemblée de façon à ce que tout le monde suive bien. Je décide de garder précieusement la feuille en souvenir de ce mariage.

Les petits clins d’œil continuent. Pendant le dîner, je suis face à une amie qui code. Les témoins de la mariée m’ont spontanément envoyé leur discours par message pour que je puisse le suivre. Le discours des frères et sœur de la mariée s’appuie sur une présentation ‘Power point’, j’ai presque tout compris. Et les témoins du marié ont pris le soin d’augmenter le volume des enceintes pour qu’on les entende bien sous le chapiteau. Pendant la soirée, une amie prononce distinctement les paroles des chansons qui passent pour que je les reconnaisse.

J’accepte désormais de ne pas saisir toutes les blagues, mais j’accueille d’autant plus tous ces moments où je peux me joindre, de bon cœur, aux rires de l’assemblée. Je bénis chaque personne qui, par sa délicatesse et son attention, me réconcilie avec ma surdité. Ils ne laissent pas le temps à la frustration de prendre place en mon cœur. Ces moments-là l’ouvrent en grand et me comblent de joie parfaite.

Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr – 3 octobre 2023

Portrait d'Alienor Vinçotte

Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.

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