« J’ose à nouveau aller vers les autres »

Portrait de Guilhem Lignon
© Groupe France Télévisions France 2.

Guilhem Lignon, 32 ans, souffre de neurofibromatose de type 1, maladie génétique qui se manifeste chez lui par une déformation du côté droit du visage. Il est l’un des protagonistes du documentaire La disgrâce qui met en scène cinq personnes avec des « gueules cassées ». Un film pétri d’humanité, à voir en replay jusqu’à début mars.

Comment avez-vous accepté votre handicap ?

Ce fut un cheminement compliqué durant toute ma scolarité jusqu’au lycée. Le regard des autres était pesant. J’étais le souffre-douleur de mes différentes classes. Je me souviens néanmoins de mon institutrice de CM1 qui m’avait proposé d’expliquer ce que j’avais à mes camardes. Cela avait bien amélioré remarques et moqueries. J’ai à nouveau connu une année difficile lorsque j’étais en Master : on m’a dit alors qu’il faudrait que je trouve un travail derrière un ordinateur, sans voir personne. Aujourd’hui, je suis chercheur dans un laboratoire où je suis entouré de gens bienveillants. Aller au travail est un véritable plaisir, c’est pour moi un lieu d’épanouissement.
Heureusement, j’ai toujours été soutenu par ma famille qui m’a poussé à mener une vie la plus normale possible, et à ne pas me cacher. Sans elle, je ne sais pas ce que je serais devenu. Je m’appuie aussi sur quelques amitiés très solides. Je participe à un groupe de jeunes pros sur ma paroisse. La foi qui m’habite a été une force durant toutes ces années. Dans les moments difficiles, je savais que je n’étais pas seul et c’était un moteur pour avancer.

Comment avez-vous été contacté pour le documentaire ?

Didier Cros, le réalisateur, s’est rapproché de nombreux professionnels de santé, dont l’orthophoniste qui me suit. C’est elle qui lui a donné mes coordonnées. Quand il m’a contacté, nous avons beaucoup discuté. S’il avait eu une approche voyeuriste, j’aurais immédiatement refusé. Ma seule crainte était qu’au montage ma parole puisse être dénaturée et ça n’a pas été le cas.

Que vous a apporté ce tournage ?

Il a été une mini thérapie qui a libéré ma parole. Je gardais beaucoup de choses enfouies en moi. J’avais peur de peiner mon entourage en évoquant mes blessures… Moi qui étais très renfermé, j’ose à nouveau aller vers les autres ; j’ai nettement plus confiance en moi. Mes proches me disent qu’ils voient une vraie différence. J’ai pendant longtemps essayé de faire abstraction du regard des autres pour me protéger. Depuis la diffusion du documentaire, j’ose à nouveau l’affronter et je vois qu’il est toujours très présent. C’est bien lourd. Aujourd’hui, ma grande interrogation concerne mon avenir : vais-je rencontrer quelqu’un qui m’aimera malgré mon handicap ; vais-je pouvoir fonder une famille ? Présent sur des sites de rencontre catholiques depuis quelques années, le succès n’a pas été au rendez-vous. Mais je persévère et le documentaire va peut-être se révéler une aide.

Visionner le film peut faire changer le regard ?

Les retours sont très positifs. Nombreux sont ceux qui disent que ce film les a fait réfléchir au regard qu’ils portaient sur les gens comme nous. Au démarrage, j’ai fait ce tournage pour me libérer d’un poids mais si en plus, cela permet de changer le regard des autres, c’est doublement gagné. Depuis la diffusion, je suis contacté par des enseignants qui souhaitent se servir du film comme d’un outil pédagogique. Ils veulent que l’un de nous soit présent pour participer à un débat à l’issue de la projection. Alors oui, je pense que ce film est un excellent support pour faire évoluer ce regard qui peut être si blessant et j’espère qu’un maximum de personnes va regarder le replay.

Propos recueillis de Christel Quaix, ombresetlumiere – 14 janvier 2021

A voir ou revoir en replay sur France 2 jusqu’au 8 mars.

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