Journal d’un médecin malade (Ep. 3)
FIDÈLE COMME UNE OMBRE
Septembre 2020
Hier nous avons passé une belle mais longue journée à l’Île Grande avec les copains pour la mise à l’eau du canot d’Yvon et Marie-Jo. J’ai de plus en plus mal au dos et je dois prendre des antalgiques depuis quelques jours. La douleur me réveille vers 5-6 h le matin et j’attends que Chantal se lève. Ce matin je me demandais le pourquoi de mon calme, de la sérénité réelle que je ressens malgré l’évolution de cette satanée maladie. Ce qui n’empêche nullement la tristesse passagère. La réponse que j’entrevois est celle de la certitude inéluctable de l’issue et de l’assurance que je conserve toujours du choix final. Mon geste ne sera pas, j’espère, celui du désespoir ni de la révolte. Non, un geste lentement mûri, au terme d’un combat mené loyalement contre une maladie inexorable. Un peu comme un marathonien qui abandonne au 30e kilomètre, au bout de ses limites mais heureux de l’effort accompli. « J’ai atteint mes limites », dit Bobby dans le terrible et superbe film d’Arthur Penn, La Poursuite impitoyable, et il ajoute : « Je n’ai plus peur de la mort. Je suis libre » ; Amadou Hampaté Bâ, quant à lui, écrit : « La mort anéantit le souci. » Espérons. Inchallah.
Je me disais ce matin dans le lit que contrairement à moi, le patient cancéreux garde une épée de Damoclès au-dessus de la tête ; il reste dans l’intranquillité, dans l’incertitude de son avenir, partagé entre crainte et espoir, rémission et rechute. Et l’incertitude est anxiogène. Mon destin à moi est écrit, forgé, tel celui tragique du héros de l’Iliade, parfaitement informé par le messager du Dieu de l’Olympe qu’il va mourir au combat, qui le regrette mais l’accepte. Encore de l’orgueil, de la résignation, en tout cas l’acceptation du destin ?
La semaine prochaine nous partons quelques jours en Saumurois, puis à Oléron revoir Alice. Balades en fauteuil roulant le long de la Loire. Nous voulions, Chantal et moi, faire ces chemins en vélo il y a quelques années. C’est juste le moyen de locomotion qui change ! J’ai déjà programmé quelques visites gourmandes chez des viticulteurs connus et à connaître.
* Aujourd’hui Philippe Bail est en vie, et se laisse aller « en appréciant tous les instants de la vie ». « Je n’ai plus du tout envie de mourir », dit-il, après avoir rédigé tout son journal. Il ne parle plus de suicide. Il est alité, sous assistance respiratoire 24h/24. Son témoignage pour Ombres & Lumière est visible ici. Retrouvez la suite de son journal, mardi prochain.