Journal d’un médecin malade / Ep. 6
Ma dernière compagne
J’ai envie de dire un moment de joie calme et forte de ce matin. Il fait très beau. Chantal est partie ramasser des bigorneaux à la grande marée d’équinoxe. Je me suis allongé directement sur le bois de la terrasse, au soleil, sous le figuier. Un ciel d’un bleu pur, le bourdonnement d’abeilles, le chant de quelques oi-seaux et, tranchant sur le ciel, les rameaux du figuier terminés par des bourgeons charnus et verts.
Aucune douleur, une respiration calme, le sentiment profond de ne pas être malade malgré les rappels lointains de la raison. Reprenant Canguilhem, je dirais que j’ai ressenti « l’espoir d’un jour » et la continuité de la vie plus forte que ma simple finitude.
Finalement, on s’habitue l’un à l’autre, la maladie et moi. Une évolution lente, régulière, on prend le temps de cohabiter, de s’accommoder sans surprise, et la lenteur avec laquelle elle se produit m’en ôte pratiquement la perception. Je pourrais fre-donner avec Reggiani : « Non, je ne suis jamais seul avec ma SLA ».
Pour avoir si souvent dormi
Avec ma solitude
Je m’en suis fait presqu’une amie
Une douce habitude
Elle ne me quitte pas d’un pas
Fidèle comme une ombre
Elle m’a suivi ça et là
Aux quatre coins du monde
Non, je ne suis jamais seul
Avec ma solitude
Quand elle est au creux de mon lit
Elle prend toute la place
Et nous passons de longues nuits
Tous les deux face à face […]
[…] Elle sera à mon dernier jour
Ma dernière compagne.
* Aujourd’hui Philippe Bail est en vie, et se laisse aller « en appréciant tous les instants de la vie ». « Je n’ai plus du tout envie de mourir », dit-il, après avoir rédigé tout son journal. Il ne parle plus de suicide. Il est alité, sous assistance respiratoire 24h/24. Son témoignage pour Ombres & Lumière est visible ici. Retrouvez la suite de son journal, mercredi prochain.
Lundi 29 mars 2021