« La consolation est un éternel recommencement »

Portrait d'Anne-Dauphine Julliand
© Remael.

Anne-Dauphine Julliand a perdu ses deux filles Thaïs et Azylis. Elle vient de publier un livre sur la consolation. Pour Ombres & Lumière, elle revient sur le deuil de ses enfants et apporte un éclairage sur ce qui peut apaiser la souffrance.

Comment traverser la souffrance du deuil d’un enfant ?

Il ne faut pas la rejeter, la dénigrer. On ne combat pas pour qu’elle cesse. La seule chose qu’on peut essayer de faire, c’est de l’intégrer dans notre vie. Ce n’est pas doloriste mais la souffrance ne se gomme pas de la vie. Il y a des exigences de la société qui nous invite à passer outre, à aller de l’avant et à faire comme si cette souffrance n’existait pas car elle gêne. Et moi, je dis, je souffre et je vais même pleurer. C’est mettre la souffrance à sa juste place. On en fait beaucoup de tabous ce qui est la gangrène à l’état pur. On recouvre d’une chape et à l’intérieur, ça crée encore plus de souffrance, ça coupe l’envie de vie. La chape voudrait dire que la peine n’a pas sa place dans ma vie, ma famille, dans la société or elle occupe une part importante de ce que je suis. Souvent, elle m’empêche de dormir, elle rend mes journées difficiles. Elle a créé un tournant capital dans ma vie et elle n’a pas le droit d’être là. Eh bien, si. C’est lui donner son importance sans pour autant qu’elle prenne toute la place.

La souffrance isole… Comment sortir de la solitude ?

On a le sentiment d’avoir été mis au ban. Cela canalise beaucoup d’énergie de souffrir. Il y a des jours où on n’a pas envie de se lever et ce n’est pas forcément de la déprime. Ça vide la souffrance. Les autres peuvent s’éloigner et c’est compliqué d’aller vers eux pour leur dire, n’ayez pas peur de ce que je suis et ce que je vis. Et parfois, c’est la clé que les autres attendent pour s’approcher. Les rares fois où j’ai dit : j’ai besoin de toi pour me consoler, je me suis aperçue, que certains qui m’aimaient ne savaient pas comment faire et préféraient s’en aller sur la pointe des pieds de peur de mal faire. C’est un mouvement des deux personnes. Ce n’est pas la responsabilité de celui qui console ou de celui qui souffre. C’est pour cela que la consolation est une relation. Il y a des moments où on ne peut pas supporter l’autre. On est dans la solitude de la souffrance. Il faut réaliser que ce ne sont que des moments. Quand on est englué dans la souffrance, on ne peut pas imaginer que ça s’arrête. C’est comme quand il pleut, on a froid, on grelotte et on n’arrive pas à imaginer les bienfaits des rayons du soleil. Il faut garder cette foi en des moments plus sereins, plus apaisés. Des moments où on peut se laisser approcher. Parfois, je souffrais tellement que je ne me laissais pas toucher, je pouvais demander aux autres de s’éloigner parfois avec violence comme l’animal blessé qui veut rester tout seul. Mais se dire, même si celui qui souffre m’a demandé de m’éloigner, il me demande juste de m’éloigner à cet instant, il ne me demande pas de m’éloigner de sa vie… C’est reproposer à chaque instant d’accompagner. Redemander à chaque instant d’être consolé.

Demander de l’aide, est-ce une des clés pour être consolé ?

C’est compliqué de demander de l’aide. On n’y est pas habitué. On nous explique qu’il faut que l’on soit fort, performant que l’on s’en sorte tout seul mais demander de l’aide c’est permettre à l’autre de rentrer dans notre espace. C’est lui donner des clés pour nous approcher, nous consoler. C’est se mettre en danger de demander de l’aide car si en retour, on n’en reçoit pas, c’est la double peine. Je demande beaucoup d’aide même pour des choses anodines. C’est comme si j’avais accepté que j’ai besoin de l’autre. Cela fait beaucoup de bien d’être aidé et cela fait aussi du bien à l’autre d’aider. Quand je m’approche de quelqu’un qui souffre, je lui demande de quoi il a besoin mais aussi de quoi il a envie. Et on ne pose pas cette question une fois mais cent fois. La consolation, c’est un éternel recommencement. C’est retourner à l’autre 100 fois, 1000 fois, tous les jours et à chaque instant s’il le faut. Moi, j’aime qu’on me demande de quoi j’ai besoin. La consolation c’est une somme de petits mots, de gestes. Il n’y a pas un mot qui console définitivement. La consolation, c’est reculer, revenir, apprendre à connaître l’autre, à ne pas en avoir peur. A travers tous les besoins exprimés, il y a « J’ai besoin de toi et de toi qui t’approches de moi ».

Y a-t-il toujours une part de spirituel dans la consolation ?

Ces épreuves-là interrogent toujours le Ciel même si c’est pour le refermer. Elles nous confrontent à quelque chose qui nous dépasse. Moi, le cœur de ma peine, c’est ma relation à Dieu. Cela n’exclut pas le bienfait des hommes car on est aussi un corps qui a besoin de la proximité des autres. Mais dans la douleur abyssale, j’ai trouvé une grande paix. Celle tout simplement de me savoir aimée.

Moi, le cœur de ma peine, c’est ma relation à Dieu. Dans la douleur abyssale, j’ai trouvé une grande paix. Celle tout simplement de me savoir aimée.

Il n’y a rien d’autre qui apaise. Dans les moments où je me suis sentie la plus minables, dans ceux où j’ai le plus souffert, je sentais Dieu à côté de moi et il me disait juste qu’il m’aimait. A partir du moment où je ressens l’amour de Dieu dans ces moments-là où je suis le moins désirable, je sais qu’il ne me quittera jamais. Cela m’apporte une paix profonde qui n’empêche pas la tempête à la surface de la mer. Cette paix me permet de pleurer et de ne pas avoir peur de ma souffrance. Croire en Dieu et croire en cet amour n’empêche pas de pleurer, au contraire, ça permet de pleurer. Comme un enfant qui va pleurer toutes ses larmes dans les bras de son père et qui va aller jusqu’au bout de sa peine sans avoir peur d’être rejeté, jugé, incompris et qui sait que l’expression de sa souffrance ne recueillera que de l’amour et de la consolation. Je ne me sens pas éternellement consolée mais je me sens consolée à chaque fois que je souffre.

Propos recueillis par Christel Quaix, ombresetlumiere.fr – 6 octobre 2020

  • Le reste de l’interview est à découvrir dans le prochain numéro d’Ombres & Lumière (n°238), disponible dès le 2 novembre.
  • Anne-Dauphine Julliand donnera une conférence à l’église Saint Léon (Paris XV) le 14 octobre 2020.
  • A lire : Consolation, les Arènes, 194 pages, 18 euros.

Partager