La dépression, “Une souffrance compliquée qui renvoie à des questions existentielles”

une femme mélancolique
©Thinckstock

La dépression peut toucher toute personne, quelle que soit son histoire, au cours de sa vie. Psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, le docteur Philippe Nuss porte un regard positif sur la maladie, source d’une meilleure connaissance de soi.

La dépression est-elle une crise des âges de la vie ou une simple déprime ?

Non. La dépression est une maladie universelle qui touche des personnes de toutes cultures, races, religions… et correspond à un état biologique du cerveau. On arrive à cet état biologique soit parce que, génétiquement, on a une fragilité et que d’elles-mêmes des cellules ne vont pas bien, soit parce que des événements de la vie ou une manière de concevoir la vie font que progressivement on s’épuise et on installe dans le cerveau cette forme d’état. La dépression est donc autant biologique que psychologique, mais quand elle est installée, elle est biologique. C’est pourquoi, les choses ne vont pas s’arranger d’elles-mêmes et il faut être pris en charge.

Comment diagnostiquez-vous qu’une personne est dépressive ?

La dépression comporte des symptômes qui, individuellement, peuvent exister dans la vie de toute personne qui va bien : la tristesse, le découragement… Le diagnostic, ce n’est pas l’existence du symptôme, c’est son association avec d’autres symptômes de la même série (lire encadré), le fait que cela dure et que cela ne s’ajuste pas aux événements de la vie. Par exemple, une tristesse disparaît ou s’estompe, quitte à revenir après. Quand on est déprimé, non. Un autre point important pour poser le diagnostic est la rupture avec le mode de fonctionnement habituel de la personne. D’habitude elle faisait certaines choses avec plaisir, parfois même qui n’intéressaient pas les autres, par exemple de la philatélie. Là, cette activité ne lui procure plus de plaisir. Enfin, la dépression entraîne un handicap dans la vie quotidienne. Non seulement, la personne souffre, mais elle ne peut plus faire sa toilette, être efficace à son travail… Bien entendu, cela varie en fonction des personnes.

Qui consulter dans un premier temps ?

D’abord son médecin. Même si le diagnostic est parfois difficile à poser, car un certain nombre de personnes, mal dans leur peau, empruntent des symptômes de dépression pour dire qu’elles ne vont pas bien. Ce sont des personnes qui se sont toujours un peu plaint – “Comment ça va ? Comme un lundi” –, sont anxieuses, ont des doutes… En réalité, il ne s’agit pas d’une dépression biologique qui engendre une rupture dans leur fonctionnement. L’examen est donc très subtil. Ensuite, à quel moment on décide d’aller voir un psychiatre ? C’est un chemin dans la tête. Mais il faut déjà que les antidépresseurs aient commencé à desserrer l’étau, et que la personne se sente un peu mieux, pour qu’elle puisse entamer une psychothérapie.

Existe-t-il des facteurs déclenchants d’une dépression ?

Les causes de dépression sont multiples. Il y a toujours une part de fragilité biologique, génétique, une part d’acquis de l’enfance, et une part due à des événements récents. Mais les proportions sont extrêmement variables d’un sujet à l’autre : pour certaines personnes, on va trouver 99% de biologique, et quasiment rien de l’enfance ou d’événement récent. Pour d’autres ce sera encore différent. Les études ont montré que les événements récents, deuil, licenciement, problèmes familiaux… ne rentrent en compte, pour le développement de la maladie, que pour un premier épisode et dans une faible proportion. En réalité, comme la personne va mal, elle retient de son environnement les événements négatifs. Bien sûr, ils peuvent engendrer du découragement, de l’angoisse, mais pas une dépression installée. Il s’agit d’expliquer à la personne que ces événements ne sont pas le cœur du problème, ni la cause profonde de la dépression. Ensuite, il faut se demander si cette dépression appartient à une maladie plus générale, la maladie maniacodépressive(1), ou si elle est la continuité d’une personnalité ou d’un traumatisme de l’enfance, notamment celui de l’abandon.

Un cas sur deux rechute. Comment l’expliquez-vous ?

Il y a un risque de rechute quand la personne a mal récupéré d’un premier épisode. De même, quand elle n’a pas fait un travail psychologique pour déceler la cause de la dépression, ou quand elle n’est pas suffisamment acteur de sa vie. Il y aussi ceux qui arrêtent leurs médicaments trop tôt. La dépression est une souffrance compliquée qui renvoie notamment à la question existentielle : “Est-ce que je vaux la peine de vivre ?” On ne peut pas empêcher une première dépression, mais on peut éviter d’en avoir une deuxième. Et surtout, il faut se dire : “Que m’a appris la première ?” On a toujours quelque chose à apprendre sur sa fragilité, sa sensibilité, sa capacité à reprendre son destin en main pour, ensuite, rééquilibrer sa vie.

Pourtant, on entend aussi parler de maladie chronique…

Il existe quelques rares formes de dépressions résistantes, chroniques, notamment chez les personnes bipolaires. Mais la majorité des dépressions “dites” chroniques concernent des personnalités qui n’imaginent même plus qu’elles peuvent aller bien. On discute beaucoup au sujet de la guerre entre la psychothérapie et les médicaments. Pour moi, cette opposition est complètement dépassée. Car, prendre un médicament, c’est déjà penser que l’on peut changer et que l’on en vaut la peine. En cela, c’est un acte psychothérapeutique. L’inverse est vrai : suivre une psychothérapie, c’est penser que l’on peut changer la biologie de ses neurones.

Vous renvoyez chacun à sa responsabilité ?

Oui. Nous avons toujours la liberté de choisir. La dépression est la maladie psychique dont on guérit le mieux. Elle nécessite beaucoup de temps et de connaissance de soi. Dans cette aventure, je vais tout d’un coup me confronter à une partie de moi que je ne connaissais pas et répondre à la question : “Qu’est-ce que je fais pour être moi-même ?” Quand je suis chrétien, c’est aussi de ma responsabilité d’offrir à Dieu quelqu’un qui va bien et de me prendre en charge, par exemple en prenant des médicaments pour aller mieux. C’est accepter que je suis un être fragile, cellulaire – avec des cellules qui pensent –, et que j’ai besoin d’un autre pour m’aider.

Propos recueillis par Florence Chatel

Ombres et Lumière n°162 (« La dépression, une avancée en eaux profondes).

Partager