Chroniques
La grâce d’un baiser
Depuis vingt-six ans, Marie Océane progresse tout doucement, à son rythme. Mais elle progresse, elle exprime davantage ce qu’elle veut, et surtout ce qu’elle ne veut pas. Petite, par exemple, elle nous couvrait de baisers.
Nous conservons une superbe photo de Marie Océane à l’âge de 4 ans, embrassant sa petite sœur Domitille bébé, que lui présentait son frère Thibault.
En grandissant, elle s’est mise à distribuer ses baisers avec parcimonie. Ils sont devenus rares, et prisés de toute la famille. À l’adolescence, ils se sont faits exceptionnels. Seul son frère Aurélien arrivait encore à en obtenir.
De notre côté, grâce à mon épouse Caroline, nous avons contourné l’obstacle avec le câlin du matin, ce moment de tendresse quotidienne qui vivifie pour la journée.
Il y a peu, nous avons pris part à une messe d’« À Dieu » d’Isabelle, une amie de 46 ans. Nous avions tendu une feuille de messe à Marie Océane, qui habituellement aime jouer avec en attendant qu’arrive l’Eucharistie, son moment préféré. Notre fille l’attrape, la tourne et la retourne jusqu’à ce qu’elle ait en face d’elle la belle photo d’Isabelle. Elle la regarde fixement, puis lui fait un grand baiser. Avec Caroline, nous nous regardons, très émus.
Peu de temps après, sa feuille tombe à terre. Je la ramasse, je l’observe et je cherche à comprendre si une raison particulière a poussé Marie Océane à embrasser cette photo, comme une douceur particulière, qui lui donnerait envie d’y poser les lèvres. Mais non.
En lui rendant la feuille, je la lui tends volontairement ouverte, à l’envers, en me disant « si tu veux embrasser Isabelle, il va falloir que tu la trouves ».
Elle la referme, la tourne et la retourne encore, jusqu’à ce qu’elle ait en face d’elle le portrait d’Isabelle, qu’elle l’embrasse à nouveau.
Plus de doute, Marie Océane nous témoigne à sa façon, avec ce baiser, non seulement son affection pour notre amie, mais sa participation à cet extraordinaire moment de communion autour de sa famille.
C’est l’un de ces moments de grâce que nous offre de temps en temps Marie Océane, avec ses faibles moyens de communication, pour nous faire comprendre la beauté de sa foi, la puissance de son empathie, la profondeur de l’intelligence de son cœur.
Caroline, après la messe, a réclamé un baiser à Marie Océane… Elle l’attend encore.
Hubert Saillet, ombresetlumiere.fr – 22 mai 2024
Hubert Saillet est père de cinq enfants, dont Marie Océane, qui est polyhandicapée. Il est membre, avec son épouse, d’une communauté Foi et lumière à Compiègne (Oise).