Une vie de papa

La longue absence

Portrait de Guillaume Kaltenbach

Dans quelques jours je vais retrouver Roxelane. Cela fait quatre mois que je ne l’ai pas vue. Depuis mars, elle est en séjour de réadaptation, loin de chez nous, à l’étranger. Elle me manque. Quand je la reverrai, elle aura changé, comme une jeune adolescente qui va sur ses 15 ans et qui mûrit mois après mois.

La vie de la famille a pris un relief autre avec cette absence. Pendant ces quelques semaines, nous avons pu expérimenter ce que l’on appelle, de façon bureaucratique, le répit des aidants. Après de nombreux mois au cours desquels la situation s’était significativement dégradée pour notre fille – mutisme, régression, agressivité, son départ en séjour est venu apporter une bouffée d’oxygène salutaire à toute la famille, à nous, parents, mais aussi à la fratrie.

J’avoue avoir eu du mal au début. J’ai éprouvé une sensation de flottement pendant les premiers jours. À tourner dans le vide, moi qui étais juste avant toujours sur le qui-vive, jour après jour, en mode hyperactif, avec un œil constamment rivé sur ce que faisait ma fille, pour anticiper les situations de crise. Après des années d’attention intense, on ne se détend pas du jour au lendemain. L’injonction de déconnexion, qu’on rencontre souvent par ailleurs, ne se décrète pas en quelques heures. Quelques copains ont eu la délicate attention de me dire que j’avais meilleure mine en ce moment. J’accepte bien volontiers de les croire.

Quand mon entourage me demande comment je vis l’éloignement de ma fille, ma réponse est ambivalente. Roxelane me manque, mais le handicap ne me manque pas. Ma confiance se nourrit du fait qu’elle soit prise en charge par une professionnelle sérieuse, dévouée, attentionnée. Je suis heureux qu’elle vive des expériences de vie nouvelles, sans nous, qui vont l’ouvrir sur d’autres apprentissages et découvertes. Quand on m’interroge pour savoir si son séjour porte ses fruits, je réponds que des graines sont semées.

Une part de moi redoute son retour car, maintenant que j’ai repris de la sérénité, mon être commence à entrevoir la reprise du qui-vive permanent. Rien que d’y penser, mon corps retrouve sa posture antérieure ; je sens les muscles se contracter à nouveau pour se réadapter à ce qu’ils ont déjà vécu pendant de nombreuses années. Cela ne me réjouit pas. Je sens toutefois que les moments privilégiés, vécus pendant cette parenthèse d’absence, sont justement les graines qui vont germer en moi pour accompagner Roxelane avec un cœur et un dévouement rafraîchis.

Guillaume Kaltenbach, ombresetlumiere.fr – 24 juin 2024

Guillaume Kaltenbach est père de trois enfants dont Roxelane, 14 ans, atteinte de troubles du spectre autistique. De confession protestante, ce chef d’entreprise est impliqué dans différentes initiatives professionnelles et bénévoles visant l’amélioration de l’inclusion des personnes en situation de handicap.

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