Un pas de biais

La vraie joie

une maman au chevet de son fils malade.
© Drazen / Adobe Stock.

Voilà bien longtemps que je n’avais pas vécu un déjeuner aussi vivant.

C’est enfin le printemps, le soleil perce timidement à travers les nuages et les bourgeons commencent à fendre leur écorce. Je suis attablée au restaurant en compagnie d’une jeune maman.

Son garçon de six ans, atteint d’un handicap lourd, est parti ce matin au bloc opératoire pour une opération autour de la moelle épinière. En attendant son réveil, elle m’a fait signe, au débotté, pour un déjeuner ensemble, l’hôpital n’étant pas très loin de mon lieu de travail.

Joie !

Joie et appréhension mêlées. Comment ne pas me sentir désarmée face à une maman au cœur de l’épreuve. Moi qui ne suis pas mère, vais-je être à la hauteur ? Je sais bien que parfois, la souffrance et l’inquiétude sont tellement lourdes qu’elles semblent presque incommunicables.

« Les enfants de notre résidence se sont tous motivés pour fabriquer à Martin un calendrier qui débute aujourd’hui, avec chaque jour un dessin, un petit trésor, un mot gentil, pour l’accompagner pendant son hospitalisation qui risque de durer un peu.
Et puis, j’ai demandé à nos amis, à nos familles, de lire des histoires et de nous les envoyer sur WhatsApp. Ses copains de classe ont même participé ! Je les fais écouter à Martin dans son lit d’hôpital, ça passe le temps. »

Et elle poursuit : « Hier, il a été pris d’une crise d’angoisse lors de la prise de sang. Alors je lui ai lu tous les messages de soutien qu’on a reçus. Cela l’a apaisé, et moi aussi. Il y en avait vraiment beaucoup, et même des mots très simples qui nous semblent si pauvres quand on les dit, comme « Bon courage, on pense à vous » : mis bout à bout, c’était un sacré réconfort.  »

Je suis frappée de la joie qui émane de cette maman. Elle ne cache pourtant pas son inquiétude, la difficile gestion du quotidien, la famille coupée en deux par ces allers-retours à l’hôpital loin de chez eux. Elle dort dans une chambre mère-enfant à côté de son fils tandis que son mari s’occupe des petits frères, tout en continuant de travailler.

De ce déjeuner, de cette maman, je tire une nouvelle leçon. Là où rôdent le souci, l’inquiétude du lendemain, la peur de la souffrance, l’angoisse de la mort ou de la séparation, se trouvent aussi, dans le même temps, la vie, la joie, la force du lien et de l’amour envers et contre tout. Une Semaine Sainte en accéléré, en somme. Pour ma part, ce déjeuner providentiel m’a fait toucher du doigt la puissance du mystère pascal. Il me semble avoir goûté au fond de moi à la vraie Joie.

Cécile Gandon, ombresetlumiere.fr – 3 avril 2023

portrait de Cécile Gandon

Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle vient de publier « Corps fragile, cœur vivant » (Emmanuel).

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