Cinéma

Le retour des hirondelles

Ma et Guijin
© trigon-film.org

Au cœur de la campagne chinoise, un mariage est arrangé entre Ma, paysan pauvre, et Guijin, mise au ban de la communauté villageoise en raison d’une énurésie qui la handicape. Au gré des saisons qui lentement redonnent vie à la terre, le réalisateur Li Ruijun magnifie la bonté des petits gestes au sein du couple, qui restaurent un corps et une âme brisés.

L’histoire

Dans la Chine la plus retirée, au cœur d’un modèle rural en voie d’extinction, Ma, dernier de sa fratrie surnommé le « cadet », reçoit pauvrement une femme dont nul n’a jamais vraiment voulue. Guijin, devenue énurétique après une enfance brutalisée, consent tête baissée à cette vie nouvelle. Le lien du mariage, au départ formel, se resserre peu à peu. Réunis d’abord par l’exclusion dont tous les deux font l’objet, Ma et Guijin s’apprivoisent dans le quotidien paysan le plus simple. Dociles au rythme long de la nature, ils construisent ensemble, à bouts de bras, une terre, un élevage de fortune, une maison, et un amour improbable. Contraint de donner régulièrement son sang pour sauver un potentat local, Ma se sacrifie avant tout pour son épouse, sans cesse raillée. Guijin, qui renaît doucement, devient malgré sa fragilité un pilier pour son mari acharné au travail.

L’avis d’O&L

Dès la première scène du film, les éléments de la nature, pièce-maîtresse de toute l’œuvre du réalisateur chinois Li Ruijun, portent symboliquement le poids de l’expérience humaine. A travers l’ouverture d’une maison, de larges pelletées de terre volent vers l’extérieur. Là, dans une cour très pauvre, un âne immobile semble n’attendre rien d’autre que son sort. La terre, semblable à du fumier humide qu’on jette dehors, évoque la vie de Guijin, cette femme méprisée, battue dans son enfance, souffrant jour et nuit d’une énurésie qui rend sa démarche claudicante. L’âne, cette bête docile et travailleuse présente dans tout le film, fait écho à la ténacité du paysan Ma. Ce dernier courbe l’échine, mais n’abandonne jamais. Guijin, rebut pour sa famille et la société, est accordée en mariage à Ma, l’homme qui semble n’être qu’une bête de somme : on le force à prendre femme, à donner son sang -pour le transfuser à l’un des petits chefs locaux, et à abandonner sa maison, sans que jamais il ne se révolte. De cet amour né dans la pauvreté et les railleries, va découler peu à peu une fécondité étonnante -malgré l’infertilité de Guijin.

Lentement, mais sans longueurs, la caméra épouse le rythme de la nature et du travail rustique du paysan, qui résiste à l’implacable destruction du monde ancien. La perte des traditions ancestrales, la mort d’une certaine Chine emportée par la modernité, reviennent inlassablement dans l’œuvre de Li Ruijun, retourné à sa terre natale pour réaliser Le Retour des hirondelles. Le cinéaste y traque la persistance de la vie, au cœur d’un système qui rase tout -les maisons comme les personnes les plus fragiles. L’image répétée de Ma, assise en tailleur sur une simple herse en bois, secouée à quelques centimètres du sol pendant que son mari tire l’âne le long du champ, concentre la volonté de filmer la vie à ras de terre, au sens le plus noble qui soit : c’est-à-dire au plus près du réel. D’autres séquences, comme l’éclosion des œufs des poussins, ou le sauvetage des nids d’hirondelles, marquent la promesse d’une fécondité dans l’accueil de la nature telle qu’elle est. A travers l’édification d’un amour, Le Retour des hirondelles invite à épouser la réalité de la fragilité, -une réalité à vif, douloureuse, mais transformante. Au-delà de la honte de son infirmité, Guijin fait le pas vers le dévoilement de soi. Comme le long manteau de laine posé délicatement sur ses épaules par son mari, pour lui rendre sa dignité abîmée par les médisants, ce film habille de protection et de tendresse ceux qui en sont privés.

Marilyne Chaumont, ombresetlumiere.fr – 7 février 2023

Un film de Li Ruijun. En salle le 8 février 2023

© trigon-film.org

Partager