Restons poly
Le vrai goût de la vie
Opérée d’une prothèse totale du genou, je fais face à une rééducation très éprouvante dans un centre spécialisé. Je suis dans cette grande salle à manger, seule à une table car ma jambe posée toute droite sur un support devant mon fauteuil roulant prend beaucoup de place. Autour de moi beaucoup de fauteuils roulants avec des personnes cassées et réparées (AVC, genou ou autres). D’autres personnes sont debout pour déjeuner, ayant l’interdiction de s’assoir après opération du dos.
Pour nous soigner, nous servir, des dames joyeuses, rigolotes mettent de l’ambiance et connaissent chacun par son nom de famille. Mon Dieu que ces dames sont importantes pour nous. Nous sommes tous dépendants et vulnérables et le moral tient à peu de choses. Parfois l’un de nous craque car c’est douloureux, épuisant et ça nous renvoie à une vulnérabilité qui nous rend fragile. Et tout de suite une dame arrive, attentive, pleine de compassion et prend ce temps pour être avec nous et voir ce qu’elle peut faire.
Pour cette période que je pressentais difficile, j’ai proposé à mes amis de prier pour leurs intentions. J’ai du temps quand la souffrance me laisse tranquille et je prie. Et je sais qu’elles prient pour moi. De même qu’encourager une petite dame tristounette par un bonjour, un sourire redonne de l’espoir. Il nous faut cultiver cette espérance et cet amour de l’autre, encore plus dans un centre où tout le monde souffre et travaille à aller mieux. Il nous faut nous soutenir par un regard, un geste, une parole d’encouragement et ça fait un bien fou de voir que tous ces humains sont solidaires les uns des autres. Ceux qui se renferment dans leurs souffrances s’isolent et font de la peine à voir. Mon mari Hubert me demande si je veux une chambre toute seule. Depuis 10 jours, une dame plus âgée que moi, qui ne souffre plus est ma coloc. Elle m’aide à ramasser ce qui tombe de mon lit, elle tient ma jambe droite pour que je puisse sortir de mon lit -car je ne peux plus la plier pour l’instant- m’ouvre la porte … et c’est tellement réconfortant. Je pense à toutes ces personnes handicapées dont ma Marie Océane qui, quotidiennement, continue à travailler la marche, la préhension, la station debout… Bravo à chacun.
Pour la journée des malades du 11 février, Le pape François a dit : « Les lieux où l’on souffre sont souvent des lieux de partage, où l’on s’enrichit mutuellement. » Il nous invite à être « des anges, […] des messagers de Dieu les uns pour les autres » et ajoute que « le sourire bienveillant d’un soignant, le regard reconnaissant et confiant d’un patient » enseignent « le vrai goût de la vie ». Ça alors, je ne savais pas qu’il était venu ici !
Caroline Saillet, 17 février 2025
Psychomotricienne par vocation, Caroline Saillet a toujours été proche des personnes porteuses de handicap. Mariée à Hubert Saillet, notre ancien chroniqueur, elle est mère de cinq enfants, dont Marie Océane, polyhandicapée. Bricoleuse, créative, un peu hyperactive, elle dévoile des recoins du quotidien et des réflexions sur le polyhandicap en partant de son expérience.