Sur le fil
L’échelle de l’humour
Moi qui souffre de troubles bipolaires, je tiens depuis quelques semaines, sur proposition de mon psychiatre, un « graphe de l’humeur ».
Il s’agit d’une méthode d’auto-observation quotidienne de l’humeur, évaluée numériquement entre « -5 » et « + 5 », chaque jour à la même heure. La case « -5 » correspond à un état « mélancolique » et la case « +5 » à un état « maniaque ». Entre les deux s’échelonnent huit cases d’états intermédiaires.
Je suis invitée à ajouter le nombre d’heures de sommeil par nuit, annoter mon irritabilité et mon stress, ajouter des évènements de vie et les traitements que je prends chaque jour. Un graphique de l’humeur permet de voir l’évolution de son humeur en croisant les informations, aide à identifier des périodes critiques, à repérer leurs causes, et à mieux se connaître.
Je dois avouer que j’estime l’amplitude de dix notes, pour décrire mon humeur quotidienne, largement insuffisante – et que je n’aurais jamais pensé tenir un jour un journal intime sur Excel !
Enfin, je proposerais bien à mon médecin d’ajouter une évaluation des degrés de mon humour, qui est très révélateur de mon humeur.
Dans l’art et la manière de communiquer, mon premier registre est celui de l’humour. Lorsque mon humeur remonte, je rebondis sur tous les mots pour faire des calembours. Et lorsque je suis « up », j’atteins une vitesse de traitement des informations qui me rend tout particulièrement drôle dans la vivacité.
J’ai remarqué autour de moi d’autres personnes touchées par la bipolarité qui rencontrent les mêmes signes annonciateurs de crises. C’est d’ailleurs une chose curieuse que de devoir suspecter un accès pathologique lorsque l’on est si drôle et si « joyeux » ! C’est même vexant de s’entendre demander, parfois à raison, lorsque l’on se sent en pleine forme : « Tout va bien ? »
Je me souviens, lors de crises maniaques, avoir emprunté au registre enfantin, des comportements facétieux qui n’étaient que le pendant d’une immense détresse. Certaines souffrances sont difficiles à extérioriser ; et les appels au secours, parfois difficiles à décrypter.
J’aimerais être plus attentive aux signaux faibles de souffrance de mon entourage, ayant des troubles psychiques déclarés ou non, car nul n’est à l’abri de ne pas savoir l’exprimer de façon adéquate.
Sophie de Coatpont, ombresetlumiere.fr – 10 juin 2024
Sophie de Coatpont, atteinte de bipolarité, se destine à être médiatrice de santé paire en psychiatrie. Elle suit actuellement une licence professionnelle à l’université et travaille dans une association à temps partiel, où elle apprend à accompagner des adultes avec un handicap psychique. Avec ses mots qui frappent sans jamais abîmer, trempés dans sa foi et sa soif de vivre, Sophie de Coatpont traverse le fil précaire de l’existence, en quête d’équilibre.