Chroniques
Les bons ingrédients
Cet hiver, nous avons invité pêle-mêle des copains célibataires, mariés, sans enfants ou avec un tout jeune bébé, pour un week-end dans la maison de campagne de mes grands-parents. Tous ne se connaissent pas forcément.
Quelques semaines avant, nous leur donnons la date. Les chambres et lits étant limités, nous réfléchissons aux amis que nous souhaitions rassembler. L’idée vise à mixer nos groupes d’amis pour qu’ils puissent faire davantage connaissance. Nous invitons des amis sourds de naissance, qui nous sont chers. « Mais ça ne fera pas trop de monde ? », demandé-je avec appréhension à mon mari. Je n’ai qu’une peur à ce moment-là : que mes amies ne se sentent pas à leur place, et que la mayonnaise ne prenne pas.
Nous sommes finalement un peu plus d’une quinzaine. Je préviens timidement nos amis que je ne serai pas la seule personne sourde à qui il faudra faire attention. Tous acquiescent de bon cœur : « Mais bien sûr ! Compte sur nous pour faire attention les uns aux autres. » Sur cette parole, je pouvais envisager la venue du week-end avec sérénité.
C’est finalement une joyeuse bande de drilles qui débarquent au fin fond de la Bourgogne. Les conversations vont bon train, quand deux copines se plantent devant moi et, droit dans les yeux, codent en LPC* pour la première fois. « On a profité des deux heures de voiture pour s’entraîner ! », me disent-elles en chœur. Je suis touchée par tant de délicatesse et d’attention.
J’observe les copains se mélanger. Ça me fait tout drôle de voir des amis de tout horizon, que nous connaissons bien, engager une conversation, rire ensemble. Même les copains sourds, qui m’ont avoué plus tard avoir eu de l’appréhension avant le week-end, se mélangent allègrement à la bande. A table, ils parviennent plus ou moins à suivre les conversations. Je suis heureuse et apaisée de voir que chacun se sent à sa place.
De peur que la mayonnaise ne prenne pas, j’avais rarement organisé dans le passé des week-ends avec différents amis, pratiquants ou non, catholiques ou agnostiques, sourds ou entendants. Je découvre que c’est l’occasion d’heureuses rencontres et de riches conversations. Plusieurs semaines après, on nous en parle encore. Preuve que la mayonnaise a bien pris, au-delà de nos espérances !
Quels sont les ingrédients du succès d’une telle recette ? Il s’agit de faire confiance aux amis qui nous entourent, les informer sur qui sera là, leur donner les clés pour qu’ils trouvent leurs points communs, et, surtout, confier ces moments à la Providence.
*Langage parlé complété
Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr – 26 février 2023
Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.