Chroniques

Les jours pauvres

deux personnes se saluant de leur fenêtre.
Istock.

Il est parfois des jours pauvres, sans couleur, des jours où j’ai l’impression qu’un souffle pourrait me balayer comme une plume. Je me sens comme transparente, vide.

Ces jours-là, il me semble que seul mon handicap me rattache à la vie. Je me bats. J’avance parce qu’il le faut. Courses, ménage, travail. Se nourrir, dormir. Depuis l’enfance, j’ai appris à lutter. Je suis une lutteuse de fond. Je sais qu’il y a la vie au bout. La vie au fond.

Ces jours-là sont rares, heureusement. Si j’arrive à les traverser, c’est grâce à une multitude de visages. Nathalie, la boulangère, et son « bonjour ! » ensoleillé.

Mikaël, le chauffeur de bus, qui ralentit à mon approche et qui même, parfois, lance un petit coup de klaxon amical quand il me voit traverser la rue.

Virginie, la coiffeuse avec qui j’échange quelques mots chaque matin sur le trajet du travail, et nous parlons de la pluie, du beau temps, et encore de la pluie… en attendant l’arc-en-ciel !

Michel, mon voisin d’en face, et sa femme Rolande qui vivent, à 80 ans, avec leur fils autiste de 50 ans dans un petit studio. Michel, les cheveux hirsutes, indifférent aux conventions sociales, me hèle souvent par la fenêtre, son panier sous le bras, avant d’aller poser son linge à la laverie.

Toutes ces personnes, leur attention, leurs sourires même cachés par le masque, ne sauront peut-être jamais à quel point elles me sauvent. Dans ces jours pauvres dont je parle, elles constituent comme un maillage délicat qui m’empêche de tomber. Ce ne sont pas (ou pas encore) des amis proches ; je ne puise pas non plus en elles la tendresse revigorante que je peux trouver parfois en famille. Mais ce sont, si j’ose dire, des « soignants du quotidien » qui me font croire que rien n’est perdu.

J’entends partout que le lien social se délite. Je me demande plutôt si nous sommes suffisamment attentifs à en saisir les infiniment délicates manifestations.

Cécile Gandon, ombresetlumiere.fr – 28 septembre 2020

Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle est l’auteur de « Timéo et sa drôle de famille » (Téqui).

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