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Les « mal portants » en première ligne contre l’euthanasie
Alors que le projet de loi sur la fin de vie vient d’être étudié ce mercredi 10 avril en Conseil des ministres, plusieurs porte-parole du Collectif Soulager n’est pas tuer, touchés par un handicap ou une grande dépendance pour la plupart, se sont exprimés sur la chaussée, à Paris. Concentrant l’opposition des plus fragiles à ce projet de loi, ils ont appelé de leurs vœux ces « aides à vivre » dont les vulnérables ont tant besoin, plutôt qu’une « aide à mourir ».
L’homme est un peu tassé sur lui-même, en blouson de cuir noir, une polaire sur les genoux, alors que le soleil frappe fort à l’angle de deux avenues parisiennes. Gérard Colin, 69 ans, dépendant du fait d’un handicap contracté à la naissance en raison d’une faute médicale, fait partie des porte-parole de Soulager n’est pas tuer. Le Collectif l’a placé en première ligne, parmi ceux que l’on n’entend quasiment jamais dans la sphère médiatique, pour s’exprimer sur le sujet de l’euthanasie et du suicide assisté, avant de remettre à l’Élysée les 33 000 signatures de l’appel lancé en 2022 par Philippe Pozzo di Borgo (1). Gérard Colin élève une voix très faible, à peine audible, contre le projet de loi : « Pour moi et mes frères et sœurs en situation de handicap, il ne faut pas que cette loi soit votée ». Résident d’un foyer d’APF-France Handicap à Meaux, engagé dans les politiques locales pour l’accessibilité, l’homme prend le temps de formuler ses craintes les plus intimes : « J’aurai toujours du mal à parler, dit-il, et, je crains pour l’avenir que des personnes, qui feraient semblant de ne pas me comprendre, puissent dire que je suis d’accord avec la mort. Alors que moi, je veux vivre. »
Isabelle Mordant, dont le fils Thomas est atteint d’une maladie génétique, a également pris la micro pour exprimer ses attentes et ses inquiétudes de mère et d’aidante face à la loi qui point. « Mon fils est atteint d’une maladie génétique grave, qui le fait beaucoup souffrir et qui le rend entièrement dépendant physiquement », a-t-elle expliqué. « J’ai découvert au fil des années, malgré la difficulté de sa vie, qu’une place entière pouvait lui être conférée dans la société. Thomas a besoin de beaucoup d’aides. Une ‘aide à mourir’ serait plus facile à mettre en œuvre que toutes ces aides à vivre dont il a besoin au quotidien. » Et de lancer un appel aux gouvernants : « Avant de trancher en faveur de l’aide à mourir, il vous faut développer ces aides à vivre dont les plus vulnérables ont tant besoin ! »
« Avant de trancher en faveur de l’aide à mourir, il vous faut développer ces aides à vivre dont les plus vulnérables ont tant besoin ! », Isabelle Mordant
Carolina Leitao a pour sa part frappé les esprits en se détachant totalement du discours qu’elle avait préparé. Cette toute petite femme de 37 ans, atteinte de la maladie des os de verre, s’est livrée sur l’acceptation de son handicap et a rappelé la dignité inaltérable de chacun. « J’imagine qu’en me voyant comme ça, on n’a pas envie de me ressembler, a-t-elle suggéré. On se dit sûrement autour de moi, « si je suis un jour comme elle, tirez-moi une balle s’il vous plaît ». Mais moi non plus, je n’ai pas envie de vous ressembler, je n’aimerais pas avoir un corps différent du mien. » La jeune Toulousaine, qui a vécu une centaine de fractures, a renversé le sens donné à la dignité chez les promoteurs de l’euthanasie d’exception et du suicide assisté : « Cette dignité dont on parle pour légitimer le suicide assisté a été renouvelée pour moi dans les situations les plus éprouvantes, a-t-elle évoqué. J’ai été dépendante sur ce qui fait le plus peur aux gens : pour manger, m’habiller et aller aux toilettes, c’est la chose la plus humiliante qui soit. Mais c’est à ce moment-là que j’ai vu des trésors d’humanité, d’abord de la part de soignants qui m’ont maintenu dans ma dignité de femme, en prodiguant des soins magnifiques… Nous sommes des personnes humaines! Ce qui définit la personne, c’est sa capacité à poser des actes moraux et à aimer, recevoir, donner. Si cette loi passe, quel message pouvons-nous attendre de la société sur la dignité ? Et des soignants qui seront tentés par la facilité ? »
« Combien de Français savent qu’être dépendant, non, ce n’est pas l’horreur, mais que ça demande un temps d’adaptation ? », a prolongé Caroline Brandicourt, principale porte-parole du Collectif atteinte d’une maladie neuro-dégénérative. « Anticiper sa mort n’est qu’un semblant de liberté, car on ne sait jamais de quoi on se prive. Bien des personnes malades se sentiront obligées d’aller vers cette prétendue aide à mourir, présentée comme une ultime liberté. Ce sera par défaut de soins palliatifs accessibles qu’elles seront poussées à ce geste. »
L’ensemble du Collectif a exprimé, surtout, la bascule que la loi opérerait sur le sens du mot « fraternité », socle des valeurs républicaines. « Éligible au suicide, moi ? a questionné Caroline Brandicourt, alors même que le Conseil des ministres s’est entendu sur les conditions d’éligibilité (voir encadré). « Bien vivante, et peinant, comme un coureur du Tour de France, a-t-elle poursuivi. Que dirions-nous si les supporteurs du Tour criaient « Arrête, c’est trop dur pour toi ! », plutôt que « Vas-y on est avec toi ! » ? Pensez-vous que ça ne changerait rien ? Qu’est-ce que cette fraternité qui serait fratricide ? Voulez-vous d’une société qui préfère la seringue tendue à la main tendue ? Ou d’une société qui reconnaît au contraire qu’autour des plus fragiles, et avec eux, se déploient des trésors d’inventivité, de patience, de courage, et même de joie ! »
Le Collectif, malgré le bruit des avenues qui recouvrait parfois les voix et l’indifférent va-et-vient des passants, a fait passer l’essentiel de son message, et espère qu’il parviendra aux oreilles du législateur : « Nous avons envie de vivre, nous les diminués, les cabossés, les dépendants. Vous ne comprenez pas vraiment que nous puissions aimer la vie, parce que nous en connaissons le prix. Alors vous vous dites « plutôt mourir que de nous retrouver comme ça ». Et cela, ça nous fait mal ! Vous nous voyez diminués, et vous ne voyez pas combien est augmentée notre capacité à être, à aimer, à écouter… Ne laissons pas s’installer le désir de mort ! ». Alors que le projet de loi arrivera à l’Assemblée à la fin du mois de mai, le Collectif invite chaque citoyen à écrire à son député (2).
Marilyne Chaumont, ombresetlumiere.fr – 10 avril 2024
(1) Le parrain du collectif Philippe Pozzo di Borgo, décédé l’an dernier, avait lancé en décembre 2022 un appel vigoureux aux membres de la Convention citoyenne : « Aidons-nous à vivre, pas à mourir! ».
(2) www.soulagernestpastuer.org
Le gouvernement valide les critères de l’aide à mourir
Ce 10 avril, les ministres réunis en Conseil ont évoqué des garanties sur le développement des soins palliatifs, avec notamment la création d’un diplôme en soins palliatifs et de nouvelles maisons dédiées, mais ont surtout confirmé l’orientation du projet de loi sur la fin de vie vers l’« aide à mourir », prenant soin de ne pas employer le mot de suicide ou d’euthanasie. Celle-ci devra répondre à des critères précis. Parmi ceux-là, il faut entre autres être majeur et avoir « un discernement plein et entier », ce qui exclut par exemple les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, mais fait peser un flou juridique immense sur ces termes. Si une personne souffre d’une maladie incurable et a un pronostic vital engagé à court ou moyen terme, elle est éligible. L’Élysée a rappelé que les maladies psychiques ou neurodégénératives sont exclues de ces critères. Le malade disposera de trois mois pour l’application de l’injection létale. Celle-ci sera ingérée par la personne elle-même, sauf si elle n’est pas en état de le faire, tel que les personnes atteintes de la maladie de Charcot, qui pourront désigner un proche. Le projet de loi sera discuté à l’Assemblée nationale à compter du 27 mai.