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« Les personnes handicapées doivent pouvoir choisir où vieillir »
La part des personnes de plus de 50 ans qui touchent l’allocation aux adultes handicapés (AAH) a augmenté de 55 % entre 2011 et 2019. La sociologue Muriel Delporte, consultée par la Cour des Comptes pour sa connaissance du terrain dans le champ du handicap mental (1), appelle à un accompagnement au plus près des personnes, pour leur donner le choix de bien vieillir.
Le récent rapport de la Cour des Comptes alerte sur la situation des personnes handicapées vieillissantes, quels en sont les points marquants ?
Muriel Delporte : C’est ce que je constate tous les jours sur le terrain, c’est l’impact de la barrière d’âge : à partir d’un certain moment, les personnes en situation de handicap basculent dans le champ des personnes âgées, et du coup, on n’a plus de données précises… Le rapport pointe cet « effacement statistique » à partir de 65 ans, du fait de l’extinction de certains droits. Or la limite administrative n’a rien à voir avec ce qui se passe dans la vie des personnes concernées par le handicap, qui sont bel et bien là. Une personne qui vit en foyer aura, en vieillissant, des besoins de soins croissants, or son établissement est non médicalisé. Le personnel éducatif va se retrouver en difficulté. Il ne pourra pas trouver de poste de soignant, et la personne devra aller vivre ailleurs, alors même qu’elle n’a rien connu d’autre et ne veut pas partir. Est-ce que vous, on vous force à déménager ? Notre organisation très cloisonnée en France fait que d’un côté, le Conseil départemental finance l’hébergement social, par exemple un foyer de vie, et d’un autre, l’Agence régionale de Santé tout ce qui relève des soins. Cela a un impact terrible, délétère sur la vie des gens.
Handicap et vieillissement engendrent-ils une double peine ?
Le handicap n’est pas une peine en soi, c’est le poids des réglementations qui provoquent des ruptures dans les parcours des personnes handicapées vieillissantes. Ces dernières ont rarement le choix du lieu où vieillir, car les contraintes sont extrêmement fortes. Les professionnels sur le terrain font tout pour garder ceux qui ne veulent pas partir de l’établissement, ils essaient de négocier, mais ils sont souvent impuissants. Après trente ans passés dans le même établissement, si une personne handicapée perd ses parents, ses proches et doit déménager sous contrainte, elle va être coupée de ses repères : c’est quelqu’un qui va vieillir mal, pas forcément en raison de son handicap. Il y a aussi celles qui sortent d’ESAT au moment de la retraite, et vieillissent à domicile avec leurs parents, pour lesquelles on ne réalise aucun suivi par la suite : on risque de retrouver quelques années plus tard des situations très détériorées, ou quand les parents décèdent, des situations d’urgence. Or l’urgence, c’est toujours catastrophique.
Et même si certaines personnes, en vieillissant, aspirent à une vie plus calme, supportent moins le bruit des plus jeunes et voudraient elles-mêmes quitter leur foyer ou leur Mas, il faut pouvoir les accompagner dans ces transitions.
Vous relevez des dispositifs inspirants dans le département du Nord, pouvez-vous nous en donner un exemple ?
Il n’y a jamais de solution unique, ce qu’il faut c’est offrir une palette de possibilités. Nous avons la chance dans notre département de tester des dispositifs qui accompagnent vraiment les personnes au cas par cas. Les professionnels essaient de lever les barrières entre handicap et gérontologie et développent des partenariats. Ils essaient de privilégier le choix des personnes dans ces passages de vie, en leur donnant le droit à l’erreur. Je prends l’exemple de ce monsieur atteint de trisomie 21, en foyer de vie, qui développait la maladie d’Alzheimer. Grâce au groupement Pass’Age, on a mené tout un travail pour qu’il aille vivre ailleurs, et la transition vers l’Ehpad s’est faite progressivement. Finalement, une fois sur place, il allait mal et ne parlait plus. Il a exprimé combien c’était « mieux avant ». Grâce à la coopération entre établissements, il a pu retrouver sa place dans son foyer. On sait depuis vingt ans que l’espérance de vie augmente, il n’y a pas de politique globale là-dessus, mais on voit que les professionnels construisent des solutions : il faut que ça se généralise.
Recueilli par Marilyne Chaumont, ombresetlumiere – 19 septembre 2023
- L’accompagnement des personnes en situations de handicap vieillissantes, rapport de la Cour des Comptes, septembre 2023.
+ Si vous voulez en savoir davantage sur ce thème, vous pouvez retrouver un dossier qu’Ombres & Lumière avait consacré au thème du vieillissement des personnes handicapées mentales (numéro 241, mai 2021)