Les repas en famille, un long chemin

dessin de Luc Tesson
© Luc Tesson pour Ombres et Lumière

Matthieu et Aude ont cinq enfants. Amélie, leur fille de 15 ans qui se situe au milieu de la fratrie souffre du syndrome de Smith-Magenis. Malgré des journées souvent bien fatigantes, Aude a toujours cherché à lui faire partager les repas familiaux. Elle témoigne.

Quand Amélie était petite, le temps du repas n’était pas le meilleur moment de la journée ! Elle n’avalait rien de solide ce qui me forçait à réaliser plusieurs menus ; les casseroles s’empilaient dans la cuisine ! Elle ne tenait pas en place, criait ou pleurait très souvent, et jusqu’à l’âge de 10 ans, j’ai dû la nourrir à la cuillère, puis l’aider à finir son assiette. Ensuite, nous avons commencé à prendre nos repas en famille le soir. Ce n’était, honnêtement, pas un moment très serein. Amélie avait et a toujours tendance à expédier son repas et vite quitter la table pour jouer et devenue adolescente, se jeter sur l’ordinateur. Pour ne pas avoir à nous lever toutes les 15 secondes, nous la laissions un moment avant d’aller la rechercher pour qu’elle finisse son dîner. C’était fatigant et source de tension avec ses frères et sœurs qui trouvaient que nous n’étions pas assez sévères avec elle. Ils avaient du mal à comprendre qu’on ne pouvait être aussi exigeants avec elle qu’envers eux-mêmes. Quand Amélie ne sortait pas de table, elle s’endormait pour des sommeils flash. A ce moment, tout le monde devait parler à voix basse car il ne fallait surtout pas la réveiller.

A la source d’une vraie vie familiale

Je compare volontiers la prise des repas à un long chemin avec des passages mouvementés et d’autres plus faciles. Il y a des moments où c’était dur et où, fatiguée, j’étais tentée de jeter l’éponge mais j’ai toujours tenu bon. Il me semble important, dans la mesure où c’est possible, de ne pas mettre l’enfant porteur de handicap à part. Le repas est un moment de partage où chacun peut raconter les bons et moins bons moments de sa journée. Ce temps partagé est à la source d’une vraie vie familiale. Depuis un an environ, Amélie nous raconte ce qu’elle a vécu au collège dans la journée. Elle requiert l’attention de tous et gare à celui qui ne l’écoute pas ! Le repas devient un vrai temps d’échanges et elle reste plus volontiers à table. Nous connaissons bien sûr des dérapages quand elle se lève au milieu du repas pour aller embrasser son frère de 16 ans que cela horripile ou encore quand elle pose une question en décalage avec ce qui a été dit et que les autres ne peuvent s’empêcher d’éclater de rire. Mais globalement, c’est une évolution très positive. Il est important d’avoir des repas où elle puisse être active et maintenant, elle m’aide à préparer les plats. J’y suis vigilante. Ainsi, les soirs où la crêpière trône au milieu de la table, c’est fête. Louche à la main, elle prend les commandes. Bien sûr, elle renverse beaucoup de pâte à côté et il faut rester zen mais c’est un bon moment. Et pour qu’Amélie ait des amis de son âge, nous avons mis en place les « samedis d’Amélie ». Des amis, ayant des enfants de son âge, se relaient pour l’accueillir en s’inscrivant sur un doodle. Cela nous permet d’avoir des repas plus tranquilles et de pouvoir aborder des sujets en profondeur avec nos grands.

Aude Ducatillon

Ombres et Lumière n°204

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